Lampedusa.
Avoue que c’est un nom qui claque ami lecteur. Un nom qui, en d’autres temps et
circonstances, porterait en lui des promesses de plages de sable blanc, de
soleil étincelant et d’embruns vivifiants.
Lampedusa,
un nom fait pour ces affiches d’un bleu d’azur qui égayent la grisaille de ta
ville en te promettant moult joies et félicités pour tes prochaines vacances.
Mais
Lampedusa à tout prendre qu’est-ce ? Un bout d’ile flottant à la traine de
la Sicile, morceau de terre craché au milieu de la Méditerranée. Oui. Mais c’est
aussi et surtout un morceau d’Europe à quelques encablures des rivages
africains. Et c’est comme ça que cet ilot insignifiant c’est retrouvé à la une
de tes journaux plutôt que sur la vitrine de l’agence de voyage en bas de chez
toi.
La
promesse d’un paradis à quelques heures d’avion de ta banlieue c’est
transformée, par le truchement de médias alarmistes, en annonce d’un enfer à ta
porte. Des hordes de migrants profitant de cette tête de pont pour s’en venir
faire main basse sur nos jobs et nos z’allocations.
Ils
en ont pondu des tartines, chiffres à l’appui. Lampedusa était devenue le trou
de souris par lequel des milliers d’individus aux louches intentions se
glisseraient jusque dans nos frais boccages profitant sournoisement de la libre
circulation des personnes une fois sur le territoire européen.
Oh,
ils se sont bien gardés de faire remarquer qu’une fois le premier pied posé sur
ce caillou pelé il reste encore une putain d’enjambée à faire pour atteindre le
continent. Bottes de sept lieues obligatoires.
Alors
oui, Lampedusa attire un peu plus que de simples touristes venus coincer la
bulle entre deux séances de métro-boulot-dodo.
Oui,
certains voient dans cette ile trop loin, l’espérance d’une vie meilleure pour
eux et les leurs.
Et
de beaux enfoirés se font marchands de rêve et de mort.
De
fieffés salauds tirent bénéfice de cette impossible quête qui jette sur les
routes tous ces malheureux qui savent vaguement que l’herbe n’est peut-être pas
plus verte en Europe qu’ailleurs… mais qu’au moins il y en a… de l’herbe.
Parce
que tu crois vraiment, ô lecteur averti, que ce brave paysan dans son village
de la Corne de l’Afrique, s’est connecté un matin sur internet pour se chercher
une petite destination peinarde. Tu crois qu’il est allé sur TripAdvisor ou
autre pour vérifier si Lampedusa c’est du cinq étoiles, du top moumoute rapport
qualité-prix et tout et tout.
Mon
cul. Non, lui il a juste entendu parler du mythe de l’eldorado occidental pas
plus réel que celui d’origine. Au moins ces cons de conquistadors quand ils
partaient à sa recherche le faisaient dans des conditions optimales pour
l’époque. Et puis eux quand ils débarquaient quelque part, ce n’est pas eux
qu’on parquait dans des camps à peine salubres… C’était plutôt l’inverse… Quand
ils ne se contentaient pas de simplement massacrer tout le monde. Moins de
bouches à nourrir, même mal. Mais je digresse.
Toi
qui es d’une intelligence remarquable puisque tu me lis, tu n’es sans doute pas
dupe. Tu sais bien que les journaleux idiots qui nous parlent de hordes
sauvages toutes prêtent à débarquer chez nous – quoique que la notion de
chez-nous aussi, elle me fait marrer, j’en parlerai un jour ou l’autre –
omettent sans vergogne de nous causer des infâmes exploiteurs qui font commerce
des illusions de ces malheureux.
Tiens,
je vais te dire, l’autre soir, j’ai regardé une excellente émission sur l’évolution
de l’économie vinicole dans le Bordelais. Attends avant de commencer à maugréer
comme quoi le Ytse est encore reparti dans une circonvolution intellectuelle
elliptique dont il a le secret. Il y’a un rapport avec mon propos. Donc, on
nous expliquait que ceci et cela, les producteurs et les négociants blablabla,
le lobby pour conserver leurs privilèges blablabli et puis, au détour d’un
sujet, ils reviennent sur les sombres pages de l’histoire Bordelaise quand les
bourgeois locaux ont voulu se diversifier dans la traite des êtres humains dans
cet ignoble commerce triangulaire de sinistre mémoire.
Et
bien en prenant connaissance du récent drame de Lampedusa, je n’ai pas pu
m’empêcher de penser que, parmi ces malheureuses victimes, il y avait peut-être
des gens qui venaient de village qui, au tournant du 18ème siècle, subissaient
les raids d’hommes sans foi ni loi qui venaient faire leur sinistre marché.
Tu
vois, les bateaux qui les emmènent à présent, il y a pas si longtemps, c’est
nous qui les armions pour aller les chercher, et contre leur gré encore, les
ceusses que l’on voudrait rejeter aujourd’hui.
D’ailleurs
si on y regarde de plus près. Il n’y pas lulurre, En France, l’immigration on
l’accueillait à bras ouverts étant entendu qu’on avait un peu besoin d’eux.
Sans cette aide providentielle et peu couteuse, les deux après-guerres auraient
été beaucoup plus longs à cicatriser tu peux me croire. Quand il a fallu
reconstruire et relancer notre économie, quand la main d’œuvre faisait défaut,
on est allé les chercher les Polacks, Ritals, Bougnoules et tous les autres
épithètes que les gens bien intentionnés ont donnés aux étrangers qui venaient
manger le pain des français comme le disait Fernand.
L’appel
d’air dont nous causes les front-nationaleux bas de plafond, c’est nous qui
l’avons créé. Et maintenant on se met les mains sur la tête et on voudrait dire
stop.
Et
je ne te parle pas de nos ex-colonies et de tous ces braves mecs à qui ont a
fait apprendre à coup de triques et de pieds dans le cul comme quoi la mère
patrie, la belle France de l’autre côté de la méditerranée, était le phare du
monde, la patrie des lumières. Benh, c’est connu, ce qui brille, la lumière, ça
attirent… et pas seulement les Phalènes.
Mais
bref, je m’égare et m’écarte du sujet. Depuis hier, Lampedusa, est devenu un
vaste cimetière où reposent à jamais les dépouilles de quelques dizaines de
malheureux dont le seul tort fut d’avoir voulu tenter l’aventure d’une vie
meilleure et leurs illusions noyées avec eux dans les abysses. Et l’horreur qui
nous frappe à la vue de ces images est d’autant plus béante que l’on sait. On sait
qu’il y aura d’autres Lampedusa.