mardi 28 octobre 2014

Ca tourne au Vinaigre.


Bonjour à toi ami lecteur… Mais peut-être ferais-je bien de commencer par te demander de bien vouloir me présenter ta Carte Nationale d’Identité avant que de t’entretenir de la suite. Sans doute devrais-je m’assurer que c’est bien à toi que je m’adresse, toi qui me lis dans ton fauteuil… Toi et toi seul… Parce que par les temps qui courent, on ne sait jamais, et pour ce que l’on m’en dit, il est tout à fait de l’ordre du possible que ce ne soit pas toi qui me lis mais… ton remplaçant.

Parce que voilà, on entend dire ici ou là, on peut le lire plus encore, de partout, sur la toile et jusque dans les livres à succès, Le Grand Remplacement est en marche ! Le danger n’est plus à nos portes, il les a allégrement franchies, profitant du laxisme coupable de nos chers gouvernants latitudinaires qui les tinrent ouvertes aux quatre vents, ouvertes surtout au Marin qui souffle d’où tu sais… Bref, ça tourne au vinaigre pour nos pommes… Enfin, c’est ce que disent ceux qui savent, ceux à qui on ne la fait pas, ceux qui ont compris…

Mais Le Grand Remplacement de quoi, par qui ? Hein ? Et puis pourquoi Grand d’abord, y’en aurait-il un petit ? Cela à l’air très grave en tous cas… Très, très grave même… Pire, affirment certains… Possiblement létal. Alors comme, un homme averti en vaut deux, peut-être convient-il de se renseigner… sur ce Grand Remplacement.
Je pourrais, là, me contenter de reprendre l’inventeur même du concept, l’éminent Renaud Camus, qui affirme que « le Grand Remplacement n'a pas besoin de définition »… C’est commode… D’ailleurs, et toujours selon lui, « le Grand Remplacement [ne serait même] pas un concept »… Oups… Au temps pour moi… Alors, le Grand Remplacement, à tout prendre, qu’est-ce ?
Et comme il faut mieux s’adresser au Dieu Camus (le faux, pas le Grand Albert) qu’à son Saint Zemmour (le vrai… de toute façon il n’y en a pas d’autres),  écoutons-le encore nous dire que Le Grand Remplacement consiste en la substitution d'un peuple « occupant le même territoire depuis quinze ou vingt siècles [par] un ou plusieurs autres peuples ». Un peu comme les Indiens d’Amérique ? Ou pour rester franco-français, ce brave Neandertal disparu dans les limbes de l’histoire, remplacé par l’Homo-Sapiens ?
Non, parce que Camus (le faux) précise que ce remplacement, sans doute pour pouvoir être qualifier de Grand, doit survenir en l'espace d'« une ou deux générations ». Or Il a fallu pour les remplacer, un peu (les Indiens) ou beaucoup (Neandertal) plus de temps que le simple passage d’une ou deux générations… Ce n’est donc pas d’eux dont on nous parle.

Il ne saurait pas non plus s’agir des Celtes, ou plutôt de leur Gauloise engeance, romanisés par le fer avant de l’être par l’esprit… Pas plus que de leurs remplaçants, remplacés à leur tour par les Ostrogoths, Wisigoths et tous les Goths du monde qui, déjà, profitant de la déliquescence de la société Romaine et de ses mœurs, en avaient traitreusement profité pour venir s’implanter…
Non, parce que aucun des peuples ainsi bouté hors, remplacé donc, ne pouvait se prévaloir d’une présence de quinze à vingt siècles…
Quant au remplacement le plus sauvage, le plus pernicieux, celui orchestré par les Parigoths, lointains descendants des autres cités plus haut, qui depuis 1936 et à chaque estive et chaque hivernage s’en viennent remplacer les populations autochtones… Et que ça t’envahie le midi, et que ça t’occupe les côtes Normandes, et que ça te fond sur l’Aquitaine, et que ça se bouscule aux portes des Alpes…
Parce que là, c’est le remplacement qui n’est pas assez durable, puisque ils, les Parigoths, ont le bon ton de s’en retourner chez eux régulièrement… Certes pour mieux revenir, mais au moins ils vont et viennent… Un remplacement alternatif en quelque sorte qui, dès lors, ne saurait non plus être qualifié de Grand.
Alors quoi ? Alors qui ? Alors qu’est-ce ? Quel est ce Grand Remplacement dont nous causent les journaux ?

Toujours d’après Camus, le faux encore hein, pas Bébert… D’ailleurs je lui donnerais bien du Renaud, au gars Camus (le faux) pour éviter la confusion avec l’autre Camus (l’illustre) mais on pourrait alors croire que je parle du poète du même prénom… Et cela serait encore plus confus étant entendu que nul ne verrait ce que Renaud (le vrai) viendrait faire dans cette galère… Bref, selon Renaud Camus, le diariste ultradroitier, Le Grand Remplacement ne serait ni plus, ni moins que : « le phénomène le plus considérable de l'histoire de France depuis des siècles, et probablement depuis toujours… »… T’imagines donc bien la porter du truc, l’étendue du problème… Bref, comme je l’écrivais tantôt, ça tourne au vinaigre et en cinq mots comme en cent : on est dans la merde…
Enfin, d’après lui, d’après eux… Y’aurait urgence… D’ailleurs, ils ont créé un Front ! Il fallait bien ça… Parce qu’il ne t’aura pas échappé, ô sagace lecteur, que le Front, quel qu’il soit, est la panacée universelle, la réponse à tous les problèmes, l’arme ultime à laquelle on fait appel quand il ne reste plus aucun espoir, un peu comme le Capitaine Flam de quand j’étais minot… Au bon vieux temps d’avant… D’avant le Grand Remplacement bien sûr…

Qu’il soit National, Républicain, de Gauche ou de Libération de quelque chose, un Front c’est la dernière chance, le dernier carré, la garde qui meurt comme une conne plutôt que de se rendre… Depuis la nuit des temps, avant même les désormais célèbres 300 connards sur la ligne de départ du défilé des Thermophiles, on a toujours eu besoin de Frontistes, d’ultimes remparts pour nous défendre contre tout un tas de trucs et de machins, divers et variés mais fortement nuisibles ou supposés tels… Alors face au Grand Remplacement, « la plus grave crise de notre histoire et le problème le plus sévère que nous devions affronter aujourd'hui », comme dirait l’autre, tu te doutes qu’il en fallait un, de Front… D’où le NCPC pour Non au Changement de Peuple et de Civilisation…
Un Front donc, sans doute pour faire le nombre et moins se sentir seul… Il faut dire que, ça fait grave flipper, Le Grand Remplacement… Pardon… Je m’égare. Je voulais écrire : il faut dire qu’un phénomène comme Le Grand Remplacement est susceptible d’effrayer jusqu’aux plus hardis, je précise, avant qu’on ne me répute acculturé et par là-même, suppôt du Grand Remplacement… Le Grand Remplacement fait donc peur, il effraye… Surtout les peureux de nature… Or, comme disait Gandhi : « La force du nombre [...] réjouit […] le peureux. »…
Donc voilà, l’heure de la lutte finale est venue, groupons-nous, et demain Le Grand Remplacement ne sera pas le genre humain… Entrons en résistance, quitte à devoir entrer aussi dans la clandestinité…

Et, comme tout bon mouvement qui se respecte, commençons par un Appel ! C’est important, l’appel, ça vous pose un mouvement… En l’espèce ce sera l’appel du 11 septembre (un hasard sans doute) 2013…
Un appel dans lequel on criera haro sur l’ennemi : « le mensonge, le silence imposé sur ce qui survient, cette façon qu’ont les deux pouvoirs, médiatique et politique, de faire comme si le Grand Remplacement et les désastres qu’il entraîne n’étaient pas l’évidence qui crève les yeux et les écrans. »…
Magnifique, n’est-ce pas ? Y-eut-il appel mieux formulé depuis le fameux du 18 juin ?
Parce que tout y est : juste ce qu’il faut d’imprécision afin que chacun puisse y voire midi à sa porte… Et le Vulgus Pecus d’opiner du bonnet, du bonnet d’âne en l’occurrence, et de se dire que bien sûr « le mensonge », certainement « le silence sur ce qui survient »… On ne sait pas qui mais ON nous ment, on ne sait pas quoi mais CA survient…
Une bonne grosse louche des deux pouvoirs… Tu penses bien… Les deux mamelles de la bête… Les Médias et les Politiques… L’éternelle coterie qui complote à notre perte… Parce que franchement, si dans ton argumentaire tu ne critiques ni la presse, ni la classe politique, t’as raté ton appel, et si tu manques ton appel, dans le meilleur des cas tu ne sautes pas très loin, dans le pire tu te vautres…
On ajoute un léger soupçon d’alarmisme en évoquant des « désastres » pour bien montrer la dangerosité de la chose. Comme le disait Alain : « Le conteur, qui veut faire paraître des choses absentes, y réussit bien mieux par le frisson de la peur que par une suite raisonnable de causes et d'effets. »
Et on finit en liant le tout par une bonne grosse affirmation péremptoire sonnant le glas de toutes les controverses, à faire taire les plus hardis des contempteurs possibles… Parce que bien évidemment, l’objet de notre ire, ce Grand Remplacement, ne saurait être autre chose qu’une « évidence qui crève les yeux et les écrans »… Un phénomène, un processus tant tellement évident qu’il nous faut faire un Appel pour le dénoncer, créer un front… Mais bon…
Voilà, le problème est posé, l’ennemi désigné… A toutes fins utiles, on précisera que «nous ne sommes pas les forces du mal : ce n’est pas nous qui mettons le pays à feu et à sang. La morale est de notre côté dans ce combat »… Des fois qu’il y en ait encore qui aient des doutes sur les justes et les bons dans cette affaire…
Jusqu’ici ça va… On comprend qu’il y un Grand Remplacement en cours, qu’on nous le cache même s’il crève les yeux, là le concept commence à m’échapper un peu, mais admettons, et on précise qu’il, Le Grand Remplacement, est potentiellement désastreux… Soit… Mais j’aurais presque envie de demander : « So what ? » si je ne craignais qu’on m’oppose, le Petit Remplacement de la noble langue française, par la novlangue franglish (ou franglaise)…  Un « Et alors ? » serait donc sans doute de meilleur aloi… Dont acte : Le Grand Remplacement certes, mais et alors ?

Alors : « il faut lui dire NON de toute urgence ». Au Grand Remplacement ? D’accord… Mais encore ?
Il faut dire « NON au changement de peuple »… Ah bon ? Mais qu’est-ce à dire ?
Il faut dire « NON à la poursuite de l’immigration, NON aux naturalisations de masse », ah benh voilà… Comme ça c’est clair… On commence à comprendre à qui on a affaire… Surtout quand ils précisent qu’il faut dire « NON à l’islamisation ». La voilà leur angoisse, elle est là leur Grande Peur, comme l’expression particulière d’un Syndrome de Capgras où tout un chacun ne serait plus remplacé par des sosies mystérieux et malintentionnés mais par de vils barbus un tantinet plus bronzés que nos petits poulbots comme le chantait l’artiste.
L’immigration, la somme de toutes les peurs, la mère de tous les maux, la bête à dix cornes et sept têtes… Le coupable idéal aussi, le coupable tout trouvé surtout, le dol commun à tous les quérulents qui en font la raison de tous leurs problèmes réels ou supposés… L’immigration et son corolaire, l’Immigré, dont Ambrose Bierce disait qu’il était un « individu mal informé qui pense qu’un pays est meilleur qu’un autre »… L’Immigré vu comme un de ces Cuculinae qui préfèrent parasiter le nid des autres plutôt que de s’en construire un lui-même et dont la progéniture finit par prendre la place de celle de ses accueillants, même si ignorants, parents d’adoption…
Le Coucou ! Le parfait symbole du Grand Remplacement et de ses dangers… J’en fais même cadeau à ses thuriféraires s’ils n’y avaient pas pensé… Sauf qu’à les entendre, le sinistre volatile aurait déjà quitté sa forêt lointaine et que ce serait du haut de notre propre chêne qu’il répondrait aux hiboux… Vous savez, cet autre volatile qui dort le jour et… vole la nuit… Entre oiseaux de mauvais augure on se comprend… Je suppose.

Tout ça pour ça donc… De nouveaux mots, un nouveau concept, pour de vieilles lunes, avec toujours le même étranger, cet individu vaguement louche, trop différent pour être honnête, le métèque qui ne vient plus boire les vingt ans de nos belles, ni manger notre pain, mais bel et bien nous remplacer !
Pas de quoi ce mettre martel en tête, si tu veux mon avis, et encore moins en appeler au Charles du même nom pour arrêter les Arabes à Poitiers comme on l’apprenait minots. Un con d’ailleurs ce Charles, si je puis me permettre. Parce qu’à sa glorieuse époque, si les Omeyyades avaient remplacé quelque chose, c’eut été une civilisation franque un peu en décrépitude par une autre civilisation autrement plus brillante… Et, eusse-t-il manqué son rendez-vous de Poitiers, ce brave Charles, qu’on ne se poserait plus la question de l’Islamisation galopante de la France aux abois… Mais bon, ceci est une autre histoire…
Bref, rien de nouveau sous le soleil, on retape, on rénove, une couche de peinture par-ci, un coup de marteau par-là, on rhabille de neuf les peurs ancestrales et les idées qu’elles suscitent… Un petit coup de balai pour se refaire une virginité… Mais l’odeur est toujours la même, prégnante, méphitique, insupportable, l’odeur de la haine… Et là pour le coup oui, ça tourne vraiment au vinaigre.

jeudi 23 octobre 2014

Deuil Express.


Bonjour à toi ami lecteur. A priori c’est la saison, mais les sanglots longs des violons qui accompagnent les élégies funèbres qui pleurent la disparition, certes soudaine et sans doute regrettable, de qui tu sais, ne blessent mon cœur d’aucune langueur particulière.

Tout un chacun y va de son panégyrique pour saluer le grand homme. Jusqu’au bon Président Hollande, pensant sans doute et pour quelques instants, nous faire oublier dans une bière de circonstance, qu’on est gouverné comme des pions par un roi un peu fou qui a perdu ses reines et celles du pouvoir.
Je ne sais pas encore si l’Illustre aura droit à des obsèques nationales, mais il y a fort à parier qu’il sera enterré en grandes pompes, alors même qu’il aurait, lui que l’on dépeignait comme dévoué corps et âme à « son » entreprise, sans doute souhaité être justement plutôt enterré à côté de ses pompes…
D’ailleurs ne peut-on pas considérer que, la formation du pétrole commençant par l’accumulation de matières organiques, l’acte même de mourir et de retourner à la terre, est pour lui, l’ultime expression d’une conscience professionnelle poussée à son paroxysme.
J’espère simplement que l’on ne recourra pas à la fracturation hydraulique pour creuser le trou nécessaire à la chose.

Mais bon, les eulogies font florès, les éloges s’accumulent et on en fait un peu beaucoup je trouve. Je dirais même qu’on nous fait la total(e) sur le sujet, même si j’admets bien volontiers l’importance du personnage… Surtout pour les actionnaires de Total, tremblant pour leur portefeuille face à des marchés toujours prompts à sur-réagir à ce genre d’événement, appliquant en cela l’adage qui veut qu’un seul être vous manque et tout soit alors aussi dépeuplé que la faune et la flore un jour de marée noire. Il est vrai que le décès de son patron peut légitimement nous faire craindre que, tout en ayant toujours du pétrole, Total n’ait plus d’idées…
L’homme était sans doute remarquable, une huile comme on dit pui(t)s dans ces cas-là. Mais l’était-il plus que tous les autres trépassés de ce 20 Octobre ? L’était-il plus que, par exemple, Maria Lambour, la sycophante bretonne protectrice des recettes locales, ou qu’Etienne Mourrut, certes décédé la veille mais dont le nom est par trop prédestiné pour ne pas figurer ici ?

Entendons-nous bien ami lecteur, laisse-moi te préciser, avant que tu ne me réputes nécrophage en m’accusant de manquer d’essence, euh, de décence voulais-je dire… Laisse-moi affirmer ici qu’il ne s’agit pas non plus de sabrer le champagne fut-il du Taittinger. Peu de morts sont réjouissantes, celle-ci pas plus qu’une autre. Et certains auraient sans doute pu, comme le disait une experte en la matière, tourner 7 fois leurs doigts sur le clavier avant que d’envoyer un Tweet quelque peu maladroit…
Mais bon, on m’a souvent invité à m’attacher plus au fond qu’à la forme… et en la matière… dans le fond y’a du pétrole… Et quand y’a du pétrole… Et pourquoi ne pas mettre sur le coup d’une certaine licence poétique de l’auteur dudit Tweet, l’usage de cette hémato-métaphore assimilant le pétrole au sang de la terre… Bref, le haro général contre ce pauvre Gérard Filoche me parait lui aussi un tantinet exagéré.

En l’espèce comme pour le reste, je continue de penser que l’on peut rire de tout… Ne serait-ce que parce que si on ne le peut pas, on ne peut rire de rien, étant alors entendu qu’il y aura toujours un mou de la coiffe pour aller t’expliquer que l’objet de ta saillie n’est pas catholique, casher, hallal ou autres trucs et machins dont ont fait les crédos…
D’ailleurs, pour en revenir à la Camarde, ne vaut-il pas mieux en rire qu’en pleurer ? Surtout pour ceux qui ont l’obligeant bon goût de calencher avant nous… Ils méritent notre reconnaissance éternelle, celle qui dure à nous rendre nous-même immortels… quand on y pense… Quoique l’éternité, c’est long, c’est chiant...

Les plaisanteries les plus courtes étant souvent les meilleures, Il faut aussi savoir s’arrêter… Un petit tour et puis s’en va… Passage express et Deuil Express à l’échelle de l’humanité et du monde qu’elle hante… Et puis surtout rappelle-toi, cher lecteur :
« J'veux qu'on rit, J'veux qu'on danse,
J'veux qu'on s'amuse comme des fous,
J'veux qu'on rit, J'veux qu'on danse,
Quand c'est qu'on m'mettra dans l'trou… »

lundi 20 octobre 2014

Si ma Tante en avait...


Bonjour à toi, ami lecteur et surtout à toi, fidèle lectrice enamourée... Ceci pour parer à toutes éventualités de me voir réputer misogyne au prétexte que je semble vouloir n’interpeller que mes lecteurs masculins… Principe de précaution que je raille d’habitude mais qu’il me semble sain d’appliquer ici.

Parce que vois-tu, belle lectrice, les temps étant ce qu’ils sont, il convient d’être prudent jusque dans les moindres recoins de sa prose, prudent dans le choix des mots et, encore plus prudent dans l’usage de leur genre… Parce que le risque est grand de se voir écharper, clouer au pilori, désigner à la vindicte populaire et autres petits et grands malheurs, pour n’avoir point su donner à un malheureux petit mot le genre ad-hoc… Le genre des mots posant dès lors encore plus de questions que le sexe des anges… Et ce n’est pas ce malheureux député, mort d’avoir voulu suivre l’usage et la rigueur académique plutôt que les dictats actuels, qui me contredira.
D’ailleurs, je ne suis pas sûr que toi-même, adorable lectrice, tu ne t’y perdes point dans ces Monsieur-Madame au maniement de plus en plus acrobatiques et dans les querelles qu’ils suscitent.
Au point que les plus pusillanimes en viendront vite à regretter un temps où de telles confusions ne risquaient pas de se produire étant entendu que le genre des mots, et notamment des professions, s’accordait alors sans difficulté aucune avec le sexe éminemment masculin de ceux qui les occupaient…
Point de débat sur le genre des articles précédents les Ministres, Députés, Maires, Recteurs, Juges et autres professions que la société d’alors réservait aux hommes… Mais ça c’était avant… Avant que les femmes ne s’en mêlent et n’en viennent à demander elles aussi leur part du gâteau… Signe évident de la décadence de notre société diront certains mous de la coiffe à l’émotivité facile…
Mais O Tempora, O mores et aujourd’hui vous avez, admirables lectrices, gagné de haute lutte votre droit à exercer toutes professions qu’il vous plaira…

Aujourd’hui donc, à part quelques fanés du calbute craignant pour leur virilité en péril et quelques sycophantes toujours promptes à dénoncer ceci ou cela au prétexte de la mise en danger du petit équilibre mesquin de leur vie de minables, à part ceux-là donc, onc ne se plaint du partage des tâches, que ces dernières soient ménagères au sein du couple ou décisionnelles jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat et des entreprises…  Je m’étonne donc, omnisciente lectrice, que quelques irréductibles puissent aller chercher dans l’affirmation des usages syntaxiques les dernières armes de leur combat d’arrière-garde… Je m’étonne encore plus que leurs contempteurs y répondent avec véhémence et coercition pour donner au débat une importance qui n’a pas lieu d’être et ce au détriment même de la noble cause qu’ils défendent.
Le nécessaire principe d’égalité entre tous les individus, et son application aux sexes, ne se décrète pas plus qu’il ne se défend dans la mise sous tutelle du langage. Surtout parce qu’au final, la féminisation forcée du langage est, à mon sens, moins légitime que la prédominance usuelle du masculin.
Je m’explique : le langage, la langue, se construit par l’usage et l’usage seul, toutes les règles semblant le régir n’étant que la formalisation d’usages passés, des règles qui par ailleurs doivent s’entendre comme des guides et non des lois. Elles sont au langage ce que la recette est à l’élaboration d’un plat, le nécessaire référent qui permet à ton plat, cher lecteur, et à ton discours, chère lectrice, de pouvoir au moins être compris de tous à défaut d’être forcément apprécié par tous.
Que penserais-tu alors d’une élite quelconque qui voudrait imposer la quantité de crème dans le Gratin Dauphinois, le nombre de frites par moule, ou de grains de semoule dans le couscous cher aux Français… Voués aux gémonies, raillés, moqués, chassés à coup de pierres, seraient ces illuminés. Et à juste raison…
Alors pourquoi devrions-nous accepter qu’une autre élite, toute bien intentionnée soit-elle, veuille mettre notre prose sous tutelle et nos articles définis sous surveillance ?

Une recette donc… Nécessaire, indispensable même, pour pouvoir faire usage du langage, exprimer ses pensées et les communiquer, ce qui, tu en conviendras bien, ô sublissime lectrice, doit rester sa vocation première. Vocation qui, pour être efficiente, nécessite effectivement l’établissement d’un corpus de règles afin d’établir un sens commun aux mots et à leur agencement…
C’est d’ailleurs ce qu’avait bien compris ce bon Armand lorsqu’il concourut à la création de l’Académie Française. Vénérable institution dont les statuts, comme tous statuts qui se respectent, définissent la fonction : « […] Travailler avec tout le soin et toute la diligence possible à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. »…
Fonction qui, par extension naturelle, se décline en missions, parmi lesquelles l’établissement du fameux Dictionnaire de l’Académie Française dont d’aucuns se gaussent de ne le voir jamais achevé, les cons, prouvant ainsi que justement, ils n’ont rien compris au principe même de ce dictionnaire.
Et pourtant, ce n’est pas faute d’entendre l’Académie elle-même répéter à l’envie que son rôle est uniquement de constater, de recueillir et de normaliser les usages.
Tu comprends ce que ça veut dire, toi, clairvoyante lectrice à l’esprit leste, le travail de l’Académie est sans fin et ce n’est pas pour rien que ce sont des immortels qui se voient confier cette inlassable tâche… Le moyen de faire autrement ? Parce que les hommes en vert ne créent pas la langue ex-nihilo et selon leur bon vouloir… Ils n’érigent pas tout de go et pour de bon, un ensemble de règles immuables. Ils ne se comportent pas comme ces lexicographes qu’Ambrose Bierce brocardaient comme de douteux personnages qui sous prétexte d’enregistrer un certain niveau dans l’évolution d’une langue, faisaient ce qu’ils pouvaient pour en stopper la croissance, en corseter la souplesse… A contrario, nos Académiciens ne font que suivre les évolutions tourmentées des usages en matière de langage, constatant que ledit langage est un fleuve au cours tumultueux qui, pour avoir une source lointaine vaguement identifiée, n’en n’a pas moins aucun estuaire connu, point d’océan dans lequel il se jette, point de fin en somme… Juste quelques canaux, écluses, barrages et autres ouvrages d’art pour essayer de le domestiquer… Vaille que vaille et tant mal que bien…

L’usage avant la règle ! Comprends-tu lectrice adorée ? Comprends-tu alors que les démarches de quelques muscadines afin que de plier notre langue à leur bon vouloir sont iniques autant qu’insupportables, même si heureusement vouées à l’échec pur et parfait ?
Parce que le langage est comme un cheval fougueux galopant dans les steppes et les pampas des conversations badines entre ses locuteurs… On peut lui flatter l’encolure, lui murmurer à l’oreille et parfois le convaincre d’aller de-ci, de-là, de prendre telle tournure, d’accepter telle construction… Mais on ne saurait le maintenir en un enclos étroit…  Que l’on s’y essaie, et il se cabre, rue, et finit par s’échapper…
On ne domestique pas le langage en lui imposant un carcan, on ne le plie pas à son goût ou à son avantage. Cela n’est pas possible. Cela n’a pas de sens.
Pour le maitriser, pour en maitriser la puissance et le pouvoir qu’il peut donner, il faut l’accepter comme un rebelle, un insoumis qui construit ses propres règles… Un être éminemment vivant… Une adventice vivace, prolixe et luxuriante qui n’a de cesse d’étendre ses sauvages ramifications n’en déplaise aux allergiques de tout poil.
Et cela n’a rien de compliqué. Car sa rébellion est pacifique, son insoumission de façade, et tu peux t’en faire un allier solide, volontaire et coopératif pour peu que tu t’adonnes avec délectation au jeu d’en apprendre les arcanes pour mieux les bousculer.
Tu peux toi aussi le faire vivre, l’employer à ton gré, le réinventer chaque jour au gré de tes envies, en fonction de tes besoins. Mais pas à son corps défendant.

Alors s’il me faut choisir entre Madame LE Ministre ou Madame LA Ministre, je veux pouvoir le faire selon mon  bon vouloir, selon ma propre oreille… Selon l’usage reconnu et avalisé, amie lectrice, ou à son encontre, ami lecteur… Et ce sans qu’on me jette un dictionnaire à la tête lorsque je vais à l’inverse des normes académiques, ni l’anathème en me réputant incorrigible phallocrate si je vais dans leur sens. Je veux d’autant plus qu’on me laisse apprécier qui du féminin ou du masculin aura ma préférence,  que ce débat se règlera de lui-même quand, le temps et l’usage auront fait leur œuvre… Mais d’ici là, je ne souscrirai à aucun dictat, aucune règle même issue des meilleures volontés du monde… Je n’accepterai aucun tentative d’aucun moralisateur qui voudrait mettre mon langage à sa botte fusse-t-elle à hauts talons.  Et toute tentative en ce sens se retrouvera brocardée ici… En ce lieu même où le langage, pour y avoir subi les derniers outrages, n’en est pas moins le roi.