Bonjour
ami lecteur. Une petite anecdote à te livrer céans. Une autre des riches heures
d’Ytse à te faire partager.
Il
y a quelques jours, j’avais rendez-vous avec quelques miennes relations
vaguement professionnelles, dans un sympathique établissement Genevois que je
ne nommerai point afin de ne pas lui faire trop de publicité qui pourrait nuire
à la tranquillité des lieux.
Fidèle
à mon habitude, et malgré le petit crachin qui arrosait les riantes rives
lacustres, j’avais laissé mon véhicule dans le Parking souterrain situé à
quelques centaines de mètres de ma destination.
Et
c’est donc d’un pas un peu précipité que je remontais le quai afin de ne pas
laisser le lainage délicat de mon costume souffrir trop longtemps de
l’imprévoyance qui m’avait vu quitter mon domicile sans me munir d’un parapluie.
Comme j’arrivais directement du bureau, je n’avais même pas pu passer chez un
quelconque ami afin de lui en dérober un susceptible de m’abriter, voire même,
avec un peu de chance, de me gagner une place pour un petit coin de paradis…
Mais là n’est pas l’objet de mon récit.
Comme
je marchais, j’entendis qu’on me hélait depuis le trottoir d’en face et j’eu la
désagréable surprise de voir là le sinistre Eric T. dont je t’ai déjà parlé (ce
qui m’avait valu l’ire d’un fâcheux qui avait cru se reconnaitre en ce vil
personnage dépeint avec tant de talent par votre serviteur).
Ici,
mes penchants littéraires auraient tendance à me pousser à te livrer au débotté
une petite description de l’individu qui serait d’autant plus croquignolesque
que l’allure du gugusse peut facilement prêter à moult moqueries et autres
quolibets à tel point que le moindre petit écrivaillon pourrait trouver matière
à disserter des heures. Mais je connais ta capacité d’attention et de
concentration proche du néant et vais en conséquence faire dans la concision et
t’épargner ce qui pourtant aurait pu être source de quelques marrades. Rien que
sa frime en forme de catastrophe naturelle offrirait pourtant à qui saurait les
saisir les bases à de plaisants sarcasmes évoquant par exemple quelques
gallinacées et la partie charnue de leur anatomie… Mais bref…
La
bonne éducation est parfois un fardeau lourd à porter mais elle reste la marque
de l’homme de bon goût et de bonne tenue, aussi répondis-je au salut que
l’horrible m’adressait et mis un point d’honneur à l’attendre, dussé-je pour se
faire porter une atteinte irrémédiable à mon costume dont je pouvais presque
entendre les cris de souffrance sous l’assaut de cette petite pluie persistante.
M.
T. prit soin de vérifier que son véhicule était correctement fermé en tirant
plusieurs fois sur la poignée de sa portière signe évident que sa confiance en
la technologie germanique était inférieure à ses craintes de voir son véhicule
être la cible des nombreux pillards dont son journal favori s’acharnait à
dénoncer l’augmentation de la recrudescence.
Il
traversa ensuite la route pour s’en venir me tendre une main moite et molle que
je serrais, ressentant, pourquoi le taire, un petit plaisir sadique en le
voyant grimacer de douleur alors que je lui broyais la dextre d’une poigne
virile.
Nous
nous mimes alors à marcher de conserve vers l’établissement où nous étions
attendus.
Comme
nous tournions l’angle de la rue, nous fumes abordés par un quidam un peu
dépenaillé qui se mit à nous expliquer dans un mauvais Suisse qu’il nous
serrait infiniment reconnaissant si nous avions le bon cœur de le dépanner de
quelques francs afin qu’il puisse aller se sustenter d’une bonne soupe chaude
dans l’estaminet voisin.
Je
fouillais mes poches et lui tendis le résultat de mes investigations, soit
environ 7frs50, en lui adressant un sourire un peu gêné qu’il ne vit pas, trop
occupé qu’il était à s’emparer du maigre pécule dont je lui faisais don.
Mon
compagnon, avait poursuivi sa route de quelques pas, et m’attendait, me lançant
des regards courroucés.
Abandonnant
l’autre à son infortune, je rejoignis M. T. qui partit aussitôt dans une
diatribe acide fustigeant l’inconstance qui me voyait faire l’aumône à « ces
gens-là » pour reprendre son expression. Je me contentais de hausser les
épaules en me mordant la langue pour ne pas lui dire son fait ce qui aurait
certainement porté une atteinte irrémédiable à nos relations déjà passablement
entamées suite à nos précédents échanges que je t’avais d’ailleurs rapportés
tantôt.
Encouragé
par mon silence, il se laissa aller à une longue tirade sur tous les
bien-pensants, comme il aimait à les appeler, qui, en se préoccupant du sort de
ces traine-savates, en leur apportant aide et réconfort, ne faisaient que les
encourager dans leurs vices et leur paresse. Il m’affirma haut et fort que si
les gens comme moi, ou pire, les associations, arrêtaient de subvenir aux
besoins de ces loqueteux, il faudrait bien alors que lesdits se mettent au
travail plutôt que de se complaire dans cet assistanat facile.
Comme
si tous les gens dans le besoin y étaient par un choix objectif. Comme si la
misère et le dénuement ne s’abattaient pas aveuglément. Comme si ceux qu’ils
frappent l’avaient tous mérité d’une manière ou d’une autre.
Nous
poursuivîmes notre route, lui pérorant toujours sur les parasites de notre
société, et moi perdu dans des pensées de plus en plus sombres alors que je me
disais que les idées fétides de l’autre con n’étaient pas loin d’être hélas
partagées par une majorité du même acabit.
De
fil en aiguille je repensais à cet article que j’avais lu au lendemain de la
tragédie de Lampedusa et qui expliquait comment les pêcheurs locaux se tenaient
aussi loin que possible des embarcations de fortunes chargées de migrants
lorsque d’aventure ils en croisaient.
Et
ce n’est pas parce qu’ils craignent de se faire attaquer ou agresser par les
passagers de ces esquifs improvisées qu’ils ne les approchent pas. Non. C’est
pour ne pas avoir à résoudre l’effroyable choix de leur porter secours en cas
de naufrage pour se voir ensuite inquiétés par les autorités, voir même
embastillés, accusés d’encourager l’immigration clandestine.
Parce
que c’est arrivé. Comble de la stupidité bureaucratique infiniment conne quand
elle veut. Oui, mon cher lecteur, tu lis bien, de braves marins italiens se
sont vus mettre aux fers par des pandores mal avisés pour avoir secouru des
clandestins en passe de se noyer. Tout juste si ils n’ont pas failli se
retrouver pendus par le cou à une vergue idoine. La honte.
La
honte et le dégout quand notre belle justice de plus en plus aveugle se plait à
couper la main de ceux qui n’ont fait que la tendre à des hommes en détresse.
Et
ne va pas croire que nos voisins et amis ultra-alpins sont les seuls à se
laisser aller à ces extrémités.
En
France itou. Combien de bons samaritains, combien d’associations, furent
l’objet de représailles que je qualifierais de ridicules si elles n’étaient pas
aussi sinistres. Celles et ceux à qui on a reproché, là d’organiser des
distributions de nourriture ou de vêtements à des réfugiés sans papier, ici de
leur avoir offert le gite et le couvert. Comment qu’ils te l’auraient trainé
vers le plus proche gibet l’Auvergnat de la chanson tous ces infâmes salauds
qui ne voient que périls et mauvaisetés dans l’étranger qui passe par chez nous
en quête de sa terre promise. Les ceusses qui te considèrent comme traitre à la
patrie parce que toi tu vois aussi le désespoir dans leurs yeux et que si tu ne
peux pas faire grand-chose contre la misère du monde, tu ne veux pas non-plus
fermer les yeux, fermer tes bras, fermer ton cœur…
Oh,
la justice et ses représentants font sans doute là ni plus ni moins que leur
travail… La loi est dure mais c’est la loi et nul n’est censé
l’ignorer…blablabla…
Alors
haro sur le brave mec qui partage son sandwich comme Martin son manteau. C’est
toujours plus facile que de s’en prendre aux filières organisées, marchands de
rêves, dealers de poudre aux yeux, salauds de première…
Et
les braves gens d’applaudir quand les gendarmes s’en viennent prendre
l’hurluberlu qui a eu le malheur d’avoir pour un instant fait montre d’un peu
de cœur et de compassion… Ou plus simplement d’avoir eu la conscience prégnante
que, ce clandestin de passage dans ta ville, ce sans-abri qui dort sur ton banc
dans ton parc, cet autre qui t’incommode, pourrait un jour être toi si les
aléas de la vie venaient à tourner du mauvais côté.
Je
ne sais pas si charité bien ordonnée commence par soi-même, mais il semble bien
qu’une charité mal dirigée au regard de la loi puisse être source de beaucoup
d’ennuis.
Et
tout en continuant de marcher, je me mis à penser à ce brave Jésus ben Joseph
en me disant que de nos jours, il n’aurait sans doute jamais eu le temps de
devenir culte. Tu parles. Crucifié au premier acte charitable le mec. La
première pierre il se la serait prise en pleine poire le pauvre à vouloir
défendre la pute et voleur de pomme.
Et
tous ces cons qui se disent bon chrétiens, bien pratiquants, la croix et la
bannière du christ tendues bien haut… et qui s’en vont voter FN à la sortie de
leur messe dominicale… Je suis sûr qu’ils auraient été les premiers à courir
jusqu’au Sanhédrin pour aller porter le pet comme quoi il y avait un type chelou
qui prêchait en dehors des clous…
Et
les Anges… Bien longtemps qu’ils ne font plus acte de charité, les anges. Pas
cons. Ils savent combien c’est dangereux. Ils ont bien trop peur de se faire
plumer par la populace en colère… De nos jours ils préfèrent montrer leur cul à
la télé-réalité… Servir la soupe plutôt que de modèle… Mais je m’égare…
Revenons-en à nos moutons et à ce soir de pluie sur les quais Genevois.
Comme
nous arrivions devant la porte de bois noir de mon lieu de perdition favori, je
jetais un regard à la face de carême de l’autre buse d’E.T. et lui trouvais un
air encore plus con qu’à l’habitude ce qui pour lui participe d’un exploit
conséquent. Et je ne me sentis plus la force d’en supporter d’avantage. Comme
il descendait les marches menant au bar, je le plantais là et m’en retournais à
ma voiture pour finalement rentrer chez moi.
En
roulant vers ma paisible retraite vaudoise, je me sentais partagé entre la
satisfaction de ne pas avoir eu à supporter l’autre gland et la déception de ne
pas avoir pu passer une agréable soirée avec les deux autres potes qui nous
attendait et qui sont, eux, de fort agréable compagnie. Choix cornélien s’il en
est que de devoir choisir entre la fréquentation des cons et celles des autres
quand d’aventure ils se trouvent rassemblés en un même lieu. Qu’aurais-tu fait,
toi, à ma place, ami lecteur ?