mardi 9 février 2016

C'est mort et ça ne sait pas.

Bonjour ami lecteur, et voici le quatre-vingt-treizième article que je t’offre sans que tu n’ais à ouvrir ton portemonnaie. Et pourtant je sais bien à quel point chacune de mes petites scribouilles qui parait est un évènement pour toi.
Alors je pourrais être tenté d’en tirer avantage, de m’enrichir et qui sait, peut-être bien que je pourrais ainsi rejoindre le cercle très fermé des 62 enfoirés qui accaparent 50% des richesses mondiales. Mais moi, tu me connais, toujours le cœur sur la main et des principes plein les fouilles : Gratos le blog à Ytse. Gratuit, mais de qualité hein ? Tu conviens ? Parce que je m’applique, je m’investis, j’y passe du temps, des après-midis entiers, des weekends complets, ne déjeunant parfois que de quelques maigres sandwichs.
Tout ça pour que tu trouves ici une corole d’articles de haute volée où tu peux te délecter à l’envie de mon style inimitable, de mon sens de la formule, de mes analyses aigües et pertinentes et autres qualités indéniables. Mais bon, ce n’est point pour t’énoncer ces vérités bien établies que je t’écris ce jour. Non, je voulais te parler des apôtres de l’orthodoxie orthographique qui se postent vent debout contre la soi-disant réforme de l’orthographe dont te causent les journaux.

Ah les cons. Ah les sinistres personnages que voilà. Des criminels ! Ni plus ni moins. Des assassins qui voudraient faire passer notre belle langue de vie à trépas et qui en sont fiers les bougres. Les mêmes fâcheux qui crient, qui pleurent et qui s’indignent chaque fois qu’un mot venu d’ailleurs s’invite dans notre dictionnaire. Ce mot d’origine étrangère, et par là même, douteuse, encore moins bienvenu chez nous qu’un migrant Syrien. Je les hais ces horribles qui ne veulent pas comprendre que notre langue n’est belle que parce qu’elle est vivante et qu’elle n’est vivante que parce qu’elle évolue, mue et se développe…

Attention, il ne s’agit pas ici de balayer d’un geste les us, les coutumes et autres règles orthographiques. Etre vivant implique nécessairement d’avoir un passé, un présent, un avenir.
Un passé puisque rien ne se crée ex-nihilo. Un passé et un patrimoine dont il faut être fier, un passé qu’il faut respecter, mais un passé qu’il faut aussi savoir regarder dans les yeux et le juger à l’aulne du temps présent.
Le présent d’ailleurs, le présent et son contexte : le vaste monde qui nous entoure, cette branloire pérenne dont nous parlait qui tu sais. Un monde qui vit lui, qui change donc et de plus en plus vite.
Et l’avenir donc, un avenir peut-être, un avenir si… Si et seulement si on sait s’adapter, se préparer, évoluer. Tu as lu Darwin ?
Un passé et un présent notre belle langue en dispose sans conteste mais pour qu’elle ait un avenir, il nous faut faire la chérir, la couver, la protéger comme si elle était un petit être fragile et sans défense. Un enfant. Notre enfant à tous et envers lequel nous avons des devoirs. Et comme pour un enfant, il faut lui donner un cadre et des règles. Mais pour qu’ils soient efficaces, il faut qu’ils soient adaptés, qu’ils sachent évoluer avec l’enfant qui grandit et son univers qui change.

Et c’est là où les chantres de l’orthographe selon grand-papa se trompent, pire, c’est là qu’ils te trompent ami lecteur de peu de jugement. Ils nous mentent tout autant que les fâcheux populistes qui nous sortent les statistiques les plus improbables, et les plus imaginaires, à l’appui de leurs diatribes contre les étrangers, les musulmans, les homos ou tous ceux qui ont le malheur de différer quelques peu de leurs normes imbéciles.
Ils nous mentent en présentant ce qu’ils nomment réforme de l’orthographe comme une gabegie totale et la porte ouverte à toutes les fenêtres de l’acculturation. Acculturation d’ailleurs. Un autre mot qui sert bien souvent les intentions malsaines des populistes dont je te causais plus haut. Mais c’est une autre histoire sur laquelle mon excellent article sobrement intitulé Ca Tourne au Vinaigre t’apportera tous les éclaircissements nécessaires.
Ils nous mentent parce qu’au contraire, les corrections apportées ne font que renforcer les règles, les clarifier, les homogénéiser et par là même, ne font que les rendre plus facilement mémorisables et par là même, plus facilement applicables.

Ils nous mentent aussi en voulant nous faire croire que de vieux principes du XVIème siècles et des traditions imbéciles puissent être garantes d’un bon usage des mots et de leur sens. Mensonge quand justement, certains de ces usages n’avaient de sens aucun. Je te prends un exemple : on écrivait événement et on prononçait évènement, tu parles d’une logique à la con. A part rendre l’apprentissage du français inutilement abscons et compliqué à aborder pour les malheureux barbares (je t’invite à aller voir l’étymologie du mot avant de te rependre en inutiles harangues à mon endroit) qui voudraient faire l’effort méritoire d’apprendre notre langue.
Alors, j’en entends qui vont me dire que de parler français, ça se mérite, que l’effort d’apprentissage est au moins aussi nécessaire que l’effort d’intégration demandé à tout individu exogène désirant se métamorphoser en un indigène de bon aloi. Moi je veux bien. A condition que ce ne soient pas les mêmes qui viennent chouiner régulièrement parce que l’usage de notre bel idiome se perdrait sur la scène internationale. Parce que faut pas s’étonner mes cons. Moi j’vais te dire, je suis né français et j’en parle conséquemment la langue mais si tel n’avait pas été le cas, je ne suis pas certain que je me serrais cassé la nénette à essayer de maitriser les règles biscornues qui en régissent l’usage.

Et puis, ne sont-ils pas ridicules jusque dans le choix de leur bannière nos thuriféraires de la rigueur orthographique. Je suis circonflexe ! Tu parles d’un crédo. Alors, moi, je n’ai rien contre cet accent qui n’est pas plus con qu’un autre au ton grave ou à la voix aigüe, mais avoue quand même que bien souvent on se demande ce qu’il vient faire ici. Je veux dire, à part apporter ici ou là une distinction de sens plus ou moins utile, à quoi sert-il ce bon vieux chapeau chinetoque. Hein ? Il était grand temps de s’en débarrasser si tu veux mon avis.
Mais le pire dans l’adoption de l’ami circonflexe comme drapeau lorsque l’on entend s’opposer à un dépoussiérage du français, c’est qu’il est surtout lui même un symbole de l’évolution de la langue, qu’il est aussi la marque d’infamie d’une précédente réforme et que ce bon vieux « S » pourrait très bien manifester à son tour : « Circonflexe m’a tuer » pourrait-il scander en manifestant son courroux en défilant avec les mots qui se virent privés de sa présence. Je te prends le fenestre d’antan, si mignon, si parfait avec son « S » précédent élégamment le « T ». Il ne demandait rien à personne et poum : supprimé, effacé, désintégré. A tout prendre, je n’ai rien contre. Pourquoi pas. Mais alors pourquoi aller rajouter ce putain d’accent de mes belles deux au dessus du « E » ? Pourquoi ? Ils n’assumaient pas leurs élisions les censeurs d’alors ? Ils regrettaient leurs coups de ciseaux ? Tu parles d’une bande d’éburnés. Ils en étaient tellement honteux d’avoir coupé du « S » en pagaille qu’ils en oublièrent toute logique et laissèrent perdurer un curieux défenestré. C’est eux qu’on aurait dû vaguer par la fenestre, moi je dis, et leur nouveau dictionnaire avec.

Un dernier détail, lecteur éclairé, ce qui donne vie à une langue, n’est-ce pas le Verbe. Non, pas le verbe, partie du discours désignant le processus évoqué mais le discours lui même. Le Verbe. La Parole quoi. Celui qui était au commencement de tout. Et là, seule la syntaxe compte et la grammaire aussi un peu, mais l’orthographe ? Hein ? A quoi sert-elle cette orthographe dans le discours ? Dès lors, sans bien entendu nier l’importance de l’écrit, on peut concevoir que, dans l’usage courant de notre langue, lorsqu’on la parle, la murmure, la crie ou la chante, on n’a pas à se préoccuper de la bien orthographier. Les combats d’arrière-garde menés par les conservateurs prennent tout de suite une importance plus relative.

Pour finir, je vais t’avouer une chose, cette modification de l’orthographe, je ne suis ni pour, ni contre. Bien au contraire. Mais si j’ai commis ce petit papier, c’est sous le coup d’une saine colère à force d’à force d’entendre les cris d’orfraies des sectateurs de la tradition orthographique. Ils finiraient presque par me faire prendre parti, ces cons, moi qui aurais plutôt une tendance naturelle à la neutralité dans ce domaine. Moi qui aimerais en l’espèce pouvoir faire cohabiter mon attachement viscéral à ce trésor patrimonial qu’est notre beau français si tellement mélodieux et harmonieux et ma passion pour la liberté. J’avais toujours pensé qu’une maitrise minimale des normes orthographiques ne devait être que le socle sur lequel on bâtissait ensuite la rampe de lancement de notre créativité, que tordre notre langue à des fins littéraires, qu’en briser les règles, se faisait d’autant mieux lorsque l’on maitrisait ces dernières. Je le pense toujours d’ailleurs, mais je me demande si je ne vais pas laisser encore plus la bride sur le cou à mon inventivité et que s’il faut appeler un chat un chat, pourquoi ne pas écrire un chien un chiain ?



PS : Dans le premier paragraphe de cette œuvre ébouriffante, j’ai mis en pratique l’essentiel des modifications apportées par la pseudo-réforme. Je te laisse trouver lesquelles.