jeudi 10 octobre 2013

Le Dormeur du Parc.


C’est un trou de verdure au milieu de la ville, parenthèse bucolique perdue dans le béton. Un endroit hors du temps ou chante un vieux bouvreuil libéré de sa cage à la mort de son maitre.
La rosée du matin accroche follement quelques haillons d’argents aux herbes folles des plates-bandes.
Le soleil qui s’élève au-dessus des immeubles fiers, baigne ce havre calme de ses doux rayons automnaux.  C’est un petit square coincés entre quatre rues et les flots impétueux de la circulation.
Pour les besoins de la cause nous l’appelleront Square Arthur Rimbaud.

Un homme jeune, bouche ouverte, tête nue, repose la nuque bien calée sur un vieux pull bleu. Une couverture crasse enveloppant son corps trop maigre. Il dort. Il est étendu dans l’herbe sous l’ombre d’un vieux saule qui le berce tendrement au doux murmure du vent dans ses rameaux pendant.
Pâle sur son banc vert que certains pensent faits pour les impotents ou les ventripotents, il s’abandonne sous ce saule qui pleut.
Le parc déjà s’agite dans la naissance du jour. Quelques ombres pressées remontent les travées, marchant la tête basse bien emmitouflés dans leur petits manteaux. Ils marchent tel des robots parce qu’une nouvelle journée commence qui les appelle vers la monotonie rassurante de leur petite vie.
Quelques ménagères de tous âges s’empressent, tirant derrière elles, qui un caddie aux roulettes qui couinent, qui un marmot qui braille et qui lambine.
Nul ne semble le voir. Pas un regard vers cette forme allongée dans son anonyme détresse. Tous continuent leur chemin de petits bonshommes qui ne font sans doute de mal à personne mais n’en pense pas moins.
Parce que leur indifférence est feinte, prétendue, sur-jouée même. Il n’est qu’à voir le léger froncement de leurs narines délicates lorsqu’ils passent près de ce banc.
L’odeur est là faut dire. Prégnante. Insidieuse. Accusatrice peut-être. Inquiétante sans doute.
Ils lui en veulent d’être là. Ils ne lui pardonnent pas cette présence qui résonne comme un avertissement. Qui sera le prochain à s’allonger sur ce banc pour y passer la nuit ?
Alors ils passent leur chemin en accélérant le pas au cas où cette misère serait contagieuse.

Lui, il dort toujours. Immobile. Les pieds dans ses vieux pataugas hors d’usage, il dort en souriant comme sourirait un enfant malade. Le bouvreuil est là qui sautille sur le dossier du banc juste au-dessus de lui. Il entonne quelques trilles joyeux, quelques notes chantantes qui, l’espace d’un instant, égayent les mornes allées que les feuilles dorées des platanes n’ont pas encore tapissées.
Un écureuil roux désescalade le saule pensant sans doute qu’il n’est pas trop tard pour commencer à s’en aller glaner à moindre effort les vestiges de quelques repas grignotés sur le pouce par les ombres évoquées plus haut. Même les animaux ont le droit à la paresse.
Quelques ramiers venus des toits voisins s’ébattent dans les frondaisons lançant leurs roucoulades horripilantes.
C’est un coin de nature au milieu de la ville et lui qui sommeille sur ce banc y a trouvé refuge comme pour mieux échapper à cette jungle urbaine qui l’a rejeté sur le bas-côté. Nature protège le. Il a froid.

Les parterres de fleur exhalent de doux parfums dans l’air figé du petit matin. Des senteurs odorantes qui ne font même pas frissonner sa narine. Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine. Tranquille. Abandonné de tous et surtout de ce dieu qui n’existe pas. Son visage have tourné du côté droit laisse voir les deux trous noirs de ses yeux grand ouverts. Pas besoin de te hâter toi qui passe sans vraiment le voir. Ses yeux ne voient pas ta gêne. Ils ne voient plus rien d’ailleurs.
La nuit n’a pas été froide pourtant en ce début d’Octobre. Mais il ne se réveillera pas.
Là c’est achevée sa route. Sur ce banc vert posé sur l’herbe tendre entre quelques massifs et sous ce grand Saule qui pleure de plus rechef cette âme perdue qui s’envole vers les limbes.
Un homme s’approche. A petits pas. Avec prudence et un peu de réluctance. Il est le gardien de cet espace privilégié. Celui censé en maintenir le fragile équilibre. Celui chargé de faire en sorte que cet oasis dans le cœur de la ville reste immaculé pour que croquants et croquantes puissent le traverser sans avoir à souffrir du moindre désagrément.
Et il a du travail avec tout ce que la ville rejette parfois ici. Les junkies aux yeux hallucinés, les voleurs aux doigts agiles ou à la main leste, les quelques vieux pervers en goguette ou pire, l’autre jour, ce couple qui s’embrassait sur ce même banc vert. Deux hommes ma brave dame. Ils n'ont plus honte de rien à présent n’est-ce pas ? Heureusement qu’il est là pour veiller au grain et mettre de l’ordre dans cette gabegie. Il leur a dit leur reste à ces deux paltoquets et ils ont déguerpi fissa vous pouvez me croire. Ils sont allés porter leur perversion ailleurs.
La gabegie, je vous dis. Celle que ce gouvernement de pacotille tolère et encourage. Mais ça ne va pas durer. Il y croit. Il le sait. Le peuple va se réveiller et porter Marine aux commandes. Et là, finis les camés, les racailles et les PD.
Mais en attendant il y a cette épave échouée sur son banc et c’est à lui de nettoyer. Il secoue l’homme. Un peu trop fort. Et le corps mort s’effondre dans le gazon. Il lui donne un coup de pied. Comme ça, gratuitement, par plaisir. Il lance deux ou trois jurons puis prend son téléphone pour appeler les flics. Ils sont payés pour ça aussi. En parlant de payer. Faudra qu’il charge la communication en notes de frais.

Le bouvreuil est toujours là, posé sagement sur le toit de l’ancien kiosque à musique qui n’a plus entendu la moindre note depuis lulurre. Ou alors elles sortaient d’un ghetoblaster et n’avaient de musique que le nom. Il regarde s’éloigner le gardien bedonnant. Il attend de le voir disparaitre au coin de l’allée pour s’en aller s’en doute accueillir les pandores qu’il a appelé en renfort.
Alors l’oiseau s’envole et vient se poser près du malheureux dont les yeux toujours ouverts fixent à présent le ciel bleu.
Et le fringillidé lance quelques pépiements. Comme une sonnerie aux morts. Ceux tombés au front de cette guerre sans nom entre la misère et l’indifférence.