C’est
un trou de verdure au milieu de la ville, parenthèse bucolique perdue dans le
béton. Un endroit hors du temps ou chante un vieux bouvreuil libéré de sa cage
à la mort de son maitre.
La
rosée du matin accroche follement quelques haillons d’argents aux herbes folles
des plates-bandes.
Le
soleil qui s’élève au-dessus des immeubles fiers, baigne ce havre calme de ses
doux rayons automnaux. C’est un petit
square coincés entre quatre rues et les flots impétueux de la circulation.
Pour
les besoins de la cause nous l’appelleront Square Arthur Rimbaud.
Un
homme jeune, bouche ouverte, tête nue, repose la nuque bien calée sur un vieux
pull bleu. Une couverture crasse enveloppant son corps trop maigre. Il dort. Il
est étendu dans l’herbe sous l’ombre d’un vieux saule qui le berce tendrement
au doux murmure du vent dans ses rameaux pendant.
Pâle
sur son banc vert que certains pensent faits pour les impotents ou les
ventripotents, il s’abandonne sous ce saule qui pleut.
Le
parc déjà s’agite dans la naissance du jour. Quelques ombres pressées remontent
les travées, marchant la tête basse bien emmitouflés dans leur petits manteaux.
Ils marchent tel des robots parce qu’une nouvelle journée commence qui les
appelle vers la monotonie rassurante de leur petite vie.
Quelques
ménagères de tous âges s’empressent, tirant derrière elles, qui un caddie aux
roulettes qui couinent, qui un marmot qui braille et qui lambine.
Nul
ne semble le voir. Pas un regard vers cette forme allongée dans son anonyme
détresse. Tous continuent leur chemin de petits bonshommes qui ne font sans
doute de mal à personne mais n’en pense pas moins.
Parce
que leur indifférence est feinte, prétendue, sur-jouée même. Il n’est qu’à voir
le léger froncement de leurs narines délicates lorsqu’ils passent près de ce
banc.
L’odeur
est là faut dire. Prégnante. Insidieuse. Accusatrice peut-être. Inquiétante
sans doute.
Ils
lui en veulent d’être là. Ils ne lui pardonnent pas cette présence qui résonne
comme un avertissement. Qui sera le prochain à s’allonger sur ce banc pour y
passer la nuit ?
Alors
ils passent leur chemin en accélérant le pas au cas où cette misère serait
contagieuse.
Lui,
il dort toujours. Immobile. Les pieds dans ses vieux pataugas hors d’usage, il
dort en souriant comme sourirait un enfant malade. Le bouvreuil est là qui
sautille sur le dossier du banc juste au-dessus de lui. Il entonne quelques
trilles joyeux, quelques notes chantantes qui, l’espace d’un instant, égayent les
mornes allées que les feuilles dorées des platanes n’ont pas encore tapissées.
Un
écureuil roux désescalade le saule pensant sans doute qu’il n’est pas trop tard
pour commencer à s’en aller glaner à moindre effort les vestiges de quelques
repas grignotés sur le pouce par les ombres évoquées plus haut. Même les
animaux ont le droit à la paresse.
Quelques
ramiers venus des toits voisins s’ébattent dans les frondaisons lançant leurs
roucoulades horripilantes.
C’est
un coin de nature au milieu de la ville et lui qui sommeille sur ce banc y a
trouvé refuge comme pour mieux échapper à cette jungle urbaine qui l’a rejeté
sur le bas-côté. Nature protège le. Il a froid.
Les
parterres de fleur exhalent de doux parfums dans l’air figé du petit matin. Des
senteurs odorantes qui ne font même pas frissonner sa narine. Il dort dans le
soleil, la main sur la poitrine. Tranquille. Abandonné de tous et surtout de ce
dieu qui n’existe pas. Son visage have tourné du côté droit laisse voir les
deux trous noirs de ses yeux grand ouverts. Pas besoin de te hâter toi qui
passe sans vraiment le voir. Ses yeux ne voient pas ta gêne. Ils ne voient plus
rien d’ailleurs.
La
nuit n’a pas été froide pourtant en ce début d’Octobre. Mais il ne se
réveillera pas.
Là
c’est achevée sa route. Sur ce banc vert posé sur l’herbe tendre entre quelques
massifs et sous ce grand Saule qui pleure de plus rechef cette âme perdue qui
s’envole vers les limbes.
Un
homme s’approche. A petits pas. Avec prudence et un peu de réluctance. Il est
le gardien de cet espace privilégié. Celui censé en maintenir le fragile
équilibre. Celui chargé de faire en sorte que cet oasis dans le cœur de la
ville reste immaculé pour que croquants et croquantes puissent le traverser
sans avoir à souffrir du moindre désagrément.
Et
il a du travail avec tout ce que la ville rejette parfois ici. Les junkies aux
yeux hallucinés, les voleurs aux doigts agiles ou à la main leste, les quelques
vieux pervers en goguette ou pire, l’autre jour, ce couple qui s’embrassait sur
ce même banc vert. Deux hommes ma brave dame. Ils n'ont plus honte de rien à
présent n’est-ce pas ? Heureusement qu’il est là pour veiller au grain et
mettre de l’ordre dans cette gabegie. Il leur a dit leur reste à ces deux paltoquets
et ils ont déguerpi fissa vous pouvez me croire. Ils sont allés porter leur
perversion ailleurs.
La
gabegie, je vous dis. Celle que ce gouvernement de pacotille tolère et
encourage. Mais ça ne va pas durer. Il y croit. Il le sait. Le peuple va se
réveiller et porter Marine aux commandes. Et là, finis les camés, les racailles
et les PD.
Mais
en attendant il y a cette épave échouée sur son banc et c’est à lui de
nettoyer. Il secoue l’homme. Un peu trop fort. Et le corps mort s’effondre dans
le gazon. Il lui donne un coup de pied. Comme ça, gratuitement, par plaisir. Il
lance deux ou trois jurons puis prend son téléphone pour appeler les flics. Ils
sont payés pour ça aussi. En parlant de payer. Faudra qu’il charge la
communication en notes de frais.
Le
bouvreuil est toujours là, posé sagement sur le toit de l’ancien kiosque à
musique qui n’a plus entendu la moindre note depuis lulurre. Ou alors elles sortaient
d’un ghetoblaster et n’avaient de musique que le nom. Il regarde s’éloigner le
gardien bedonnant. Il attend de le voir disparaitre au coin de l’allée pour
s’en aller s’en doute accueillir les pandores qu’il a appelé en renfort.
Alors
l’oiseau s’envole et vient se poser près du malheureux dont les yeux toujours
ouverts fixent à présent le ciel bleu.
Et
le fringillidé lance quelques pépiements. Comme une sonnerie aux morts. Ceux
tombés au front de cette guerre sans nom entre la misère et l’indifférence.