vendredi 15 janvier 2016

Trois petits mots...

7h12 affiche mon réveil d’un air moqueur alors que mon fils pénètre dans notre chambre après avoir semble-t-il enfoncé la porte… Peut-être n’a-t-il d’ailleurs fait que l’ouvrir un peu violement parce qu’à la voir, là, encore bien posée sur ses gonds, je me dis qu’elle ne parait pas avoir tant que ça souffert de l’outrage. Le bougre saute dans notre lit. Réveil en fanfare et sourire de ma femme qui s’étire avant de se tourner sur le côté pour me regarder avec un air qui ne me dit rien qui vaille.
— On est le 31, me lance-t-elle en guise de bonjour.
Je me dis que oui, nous sommes, certes, on est, mais encore ? Devant mon air perplexe, elle se contente de préciser :
— Il te reste moins de Dix-sept heures…
Ah. Me voilà bien avancé. Il semblerait qu’un ultimatum quelconque vient de m’échoir mais je n’ai pas le moindre début d’une idée quant à son contenu et par là même quant à ce que je dois faire pour m’y conformer.
— Je sais, hasardai-je pour donner le change avant de me lever pour aller me réfugier dans les toilettes histoire de méditer un peu sur le sujet.

Connaissant ma femme, à la façon qu’elle a eut de me balancer sa petite phrase en forme d’éphéméride, je ne me fais aucune illusion. Je dois résoudre l’énigme. Il en va de ma quiétude et de ma sérénité pour l’année qui s’annonce pas plus tard que dans… Dix-sept heures justement. Cette pensée m’éclaire soudain : « On est le 31 » a-t’elle dit et « Il te reste dix-sept heures » a-t’elle ajouté. Il y a sans doute bien des choses pour lesquelles le 31 décembre est une échéance impérieuse mais parmi celles-ci, les bonnes résolutions prises au crépuscule de l’année précédente arrivent souvent en tête.
Bon, m’interpelai-je en sortant des toilettes, quelle promesse inconsidérée ai-je bien pu énoncer au soir du 31 décembre dernier ? Une promesse que je me serais donc empresser d’oublier. Je peux déjà rayer le mariage de la liste. Nous nous sommes effectivement passés la bague au doigt au mois d’aout après 11 ans de vie commune et deux enfants, mais nous travaillions à la chose depuis près de 18 mois et ma demande, en bonne et due forme, remontait à décembre… 2013. Putain deux ans !
Je doutais aussi qu’il ne puisse s’agir de la paire de boucles d’oreille en diamants que je lui avais offertes en janvier. Elles m’avaient coûté un bras et les deux reins mais c’était une surprise. Ma femme m’avait certes laissé moult fois entendre qu’un tel présent la comblerait et ce n’était point tombé dans l’oreille d’une sourd, mais je ne m’étais engagé à rien. J’avais d’ailleurs hésité jusqu’au dernier moment comme le montrait la course lente de mes doigts tremblants sur le clavier de la machine au moment d’entrer mon code de CB, pour soulager mon compte bancaire d’une somme astronomique. Il ne pouvait s’agir de cela.

Le petit déjeuner passa sans que je sois plus avancé. J’avais beau me creuser les méninges, je ne trouvais pas. Je ne me rappelais d’ailleurs tout simplement pas avoir formulé la moindre résolution. Même la plus banale. Je ne fume pas, je bois avec modération, je fais du sport, il ne fallait donc pas chercher en direction du traditionnel triptyque.
Sous la douche, il revint à ma mémoire le souvenir d’une promesse de surveiller mon langage qui peut effectivement s’orner parfois de quelques vulgarités, particulièrement lorsque je conduis et qu’un sombre connard me coupe la route ou qu’une pétasse se gare en double-file pour épargner à ses lardons les deux cent mètres entre la place disponible la plus proche et le portail de l’école… Mais cet engagement datait de l’année d’avant et je l’avais foiré dans les grandes largeurs. Il ne pouvait s’agir de cela non plus.

En parlant de voiture, il est temps d’aller chercher chez le traiteur la dinde farcie à je ne sais quoi que ma femme a commandée pour le réveillon. Les courses ? Non. Ca fait un bail que je les fais presque autant qu’elle et les tâches ménagères restent dévolues à notre femme de ménage brésilienne, experte en la matière. Merde, impossible de se garer dans cette putain de ville… Oui, je sais, mon langage… Mais bon. Il ne me reste plus qu’à aller jusqu’au parking en priant pour que le traiteur ait bien emballé la dinde et sa garniture pour que je puisse me la trimballer sans encombre depuis l’autre bout de la ville… Enfin presque.
Retour maison et la dinde au réfrigérateur. Toujours pas la moindre idée et il est midi pile. Douze heures. Pas une de plus pour me souvenir de ma résolution en espérant qu’elle soit de celles qui puissent se réaliser en un laps de temps très court.
Le déjeuner se passe et je surprends encore le petit regard en coin de ma femme alors que nous buvons notre café. J’suis dans la panade. J’en ai jusqu’aux genoux et cette bonne vieille horloge continue d’avancer.

Tiens, si j’allais jouer un peu de guitare. Ma femme se fait couler son bain, première étape du complexe process de sa mise en beauté en perspective de la soirée à venir. Baumes divers, maquillage, strass et paillettes, je me tue à lui dire qu’elle est mieux sans tout ça… Vous connaissez la chanson. Le petit dernier est à la sieste et la grande a entrepris de combler son retard dans les épisodes de Chica Vampiro. J’ai donc un peu de temps libre. J’allume l’ampli et envoie quelques gammes histoires de me chauffer les doigts. Des penta mineures… J’ai le blues… Il me reste moins de dix heures. Au bout d’une demi-heure de cette activité solitaire, l’idée m’effleure que j’ai pu m’engager à passer plus de temps avec elle et les enfants et moins avec mes potes, mes guitares et mes bouquins. Pour les potes, elle n’a pas à se plaindre, je n’ai fait que deux concerts… et le Hellfest bien sûr. Mais ça, ça ne compte pas. Un bel effort par rapport aux années précédentes. Pour la guitare, je ne pense pas avoir abusé et quant aux bouquins, elle m’en a offert trois pour Noël, que j’ai certes dévorés illico, mais elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même : un de Frédéric Dard et deux de Thierry Jonquet, elle prenait de sacrés risques. Ca ne peut pas être ça non plus.
Bon, le petit doit être réveillé maintenant. Je remonte. Il dort toujours en fait, et ma femme est passée à la séance coiffure alambiquée avec force bigoudis chauffants et autres peignes soufflants. La grande bouquine dans sa piaule. Tout est sous contrôle. Sauf ce satané truc que je dois faire dans les… huit prochaines heures. La Panade. J’en ai jusqu’à la ceinture et cette bonne vieille horloge continue d’avancer.

Ma femme me suggère amicalement qu’il serait de bon aloi que je commence à me préoccuper du repas, en dressant la table par exemple et en commençant par préparer les canapés et autres petits-fours qu’elle avait prévus de servir à nos invités. Je m’y attelle donc tout en continuant de cogiter à mon problème. En vain. La table est mise et les amuse-gueules prêts et moi je suis de plus en plus désemparé. Le petit s’est réveillé entre temps et je le fais goûter avec sa sœur : tartines de Nutella. Ma femme étant passée à la séquence maquillage, peu de chance qu’elle ne descende pour nous surprendre en flagrant délit d’entorse à ses prescriptions alimentaires… Le Nutella ? Non. Même si ma vie en dépendait je n’aurais jamais pris le moindre engagement sur le sujet. Il y a des limites à tout.
Ma femme descend, rayonnante, éblouissante, étincelante (les fameuses boucles d’oreilles y participent un peu) même en peignoir. Elle m’invite à aller me préparer moi-même. Les invités, deux couples d’amis et leur descendance, sont attendus pour dans un peu plus d’une heure… Et moi il ne m’en reste plus que six pour ce que vous savez. Panade, jusqu’à la poitrine, vieille pendule qui avance et avance encore…

Deuxième douche de la journée, rasage, after-shave, une touche de Tsar by Van Cleef & Arpels, un coup de peigne. Fin prêt. Ma femme a sorti mon costume. Enfin un costume. Le bleu foncé. Pas celui que j’avais pensé mettre. Tant pis, ce n’est pas le moment de me la jouer rebelle. Va pour le bleu foncé donc. Chemise blanche, cravate bleue. Et voilà. En redescendant, je la croise qui me demande d’habiller le minot et de surveiller que sa sœur mette bien la tenue qu’elle lui a préparée. Elle aurait du être costumière ma femme. Bien évidemment, tous ces préparatifs n’ont pas fait avancer ma réflexion. Coup de sonnette ! Putain de Delalande. Toujours à l’heure. Je dégringole les escaliers et joue mon rôle d’hôte avec attention. L’apéritif se passe, puis l’entrée, la dinde et le fromage… Et le temps itou. Panade. Jusqu’au cou et la bonne vieille horloge qui ronronne au salon que s’en est pénible à la fin de voir avancer ces aiguilles.

Pierre me parle de son dernier procès et Jojo de leur nouvelle maison à Zermatt, et moi je dis que bravo, que c’est super, que je suis content pour eux mais je ne les écoute que d’un œil, l’autre revenant sans cesse à la fameuse pendule. C’est mort. Je le sais. Même si, par un improbable miracle, j’arrivais à me souvenir de ma promesse, je n’aurais sans doute plus le temps de pouvoir la réaliser. Tant pis.
Ma femme revient avec une buche au Cassis et Marrons. Il est 23h25, juste le bon moment pour passer au dessert pour que minuit nous voit prêts à nous embrasser pour se souhaiter tout un tas de chouettes trucs et de beaux machins pour la nouvelle année. La buche est délicieuse même si je ne peux pas l’apprécier à sa juste valeur, mon estomac se nouant à la perspective des douze coups à venir qui scelleront mon destin. Panade. Par dessus la tête… Glouglouglou…

23h52.
— Tu nous sers le Champagne ! suggère ma femme en se dirigeant vers la cuisine pour aller chercher les mignardises sensées accompagner les petites bulles mordorées.
Je la suis, trainant les pieds comme un qui monte à l’échafaud. Cette fois, c’est la fin. J’entre à sa suite dans la cuisine. Elle se retourne, s’adosse au plan de travail et me sourit. Elle est magnifique dans sa robe noire un peu moulante, juste ce qu’il faut. Alors je m’approche d’elle et je la prends par la taille. Je la serre contre moi et dépose un léger baiser sur ses lèvres si douces.
— Je t’aime, susurrai-je à son oreille.
— Ah… Et bien on peut dire que c’était moins une, dit-elle alors en souriant encore plus.


Je ne comprends d’abord pas et puis tout me revient. La soirée du nouvel an l’année dernière, chez Jojo et Margot. Et elle qui m’avait reproché dans la voiture sur le chemin du retour de ne jamais lui dire que je l’aimais. Je ne sais plus comment la conversation avait commencé mais ça n’a pas d’importance. L’important c’est que je m’étais laissé aller à lui promettre qu’en 2015 je lui dirai plus souvent les trois mots attendus. Elle s’était moquée en disant qu’il suffirait d’une fois. J’avais promis plus. Si mon compte était bon, avec celui de ce soir, j’en étais à deux. Bonne résolution 2015 tenue. Ouf !  

mardi 12 janvier 2016

Des Gueules d'Enterrement.

Bonjours fidèle lecteur. Plus fidèle que moi, il me faut bien avouer, si j’en juge par les statistiques aimablement fournies par Google et qui tendent à montrer que tu viens me visiter avec une persistance que ma maigre production n’honore pas. D’ailleurs, je te parle à tu et à toi, mais, t’es plusieurs, hein ? Désolé de te le dire. Ce n’est pas un amour exclusif. J’me partage. Et toi ne me dis pas que tu ne lis que moi… Hein ? Donc on est quitte, vive l’amour libre.

Bref, tout ça pour te dire qu’en consultant les stats en question, j’ai ressenti comme une petite pointe de vergogne, sentiment diffus de ne pas t’en donner pour ton argent. Huit malheureux petits articles en 2015. Bon, je ne te gruge pas sur la qualité, on est bien d’accord mais merci quand même de le faire remarquer ; mais je ne peux m’empêcher de me dire que je pourrais me forcer un peu et, sans pour autant retrouver mon rythme d’antan, à tout le moins t’offrir plus souvent de ces petits billets que tu adores tant.

A ma décharge, j’ai été super occupé ces derniers temps, et pour tout te dire et ne rien te cacher, j’ai consacré mon art à d’autres fins que celles d’élucubrer ici. Mais ce n’est pas le sujet du jour. Je t’en reparlerai bientôt. En attendant, je te promets d’ici quelques jours, une petite scribouille® dans l’air du temps de ce début d’année nouvelle et t’en souhaite bonne lecture par avance.

En parlant de souhait : bonne année 2016 à toi… D’un point de vue perso, 2015 a été plutôt pas mal, merci, mais t’avouera qu’ailleurs, dans le vaste monde et sa périphérie, elle a été pas mal merdique quand même. La faute aux cons, encore et toujours, ceux qui se font sauter au milieu d’une foule innocente et ceux qui les endoctrinent, ceux qui exploitent la misère et s’engraissent toujours plus, ceux qui, par un petit dimanche, dans le petit froid d’un petit matin, s’en vont déposer leur bulletin de vote plein de haine… et tant d’autres, cons, cons et re-cons, tellement cons qu’ils devraient en crever si il y avait une justice.

Putain d’année aussi où j’ai perdu des amis. Des vrais. Qu’ils soient vraiment proches ou de simples phares éclairant la nuit de notre monde barbare. Je pense à mon Lemmy, par exemple, qui s’en est allé Rocker au Paradis, rejoindre ses potes Phil Taylor et Würzel. Ca doit aller la vie pour lui maintenant, j’le vois d’ici le Lemmy, assis sur son nuage avec sa Rickenbacker dans une main, une binouze dans l’autre et deux gonzesses sur chaque genoux. Et nous, ben on apprend à vivre sans lui, au moins il nous reste sa musique, le souvenir de concerts mémorables et pour moi, la satisfaction d’avoir pu lui faire une sorte d’adieu en juin dernier lors du Hellfest.

Des fois j’me dis aussi, que ça doit être bien d’être mort. Ca fait sans doute de la peine à tes proches, mais au moins, t’es plus emmerdé par les cons. Enfin je m’accroche à cette espérance, parce que sinon, autant s’en mettre une tout de suite. Quoi ? Ca ne règlerait rien ? Ouais je sais, mais tu vois une autre solution toi ? Non ? Alors on va dire ça, on va dire que quand tu es calenché, les cons, c’est fini pour toi. J’veux dire, on est a peu près d’accord que le paradis que les curetons et leurs homologues essayent de nous vendre, les trucs avec des mecs en robes blanches, des ailes et des auréoles ou les grands lupanars aux 10'000 vierges, c’est de l’attrape gogo. Non, moi je crois plutôt qu’une fois mort, le gars Charon, le taximan ultime, celui que même Uber n’est pas prêt de remplacer, il te conduit jusqu’à ton bistrot préféré quelque part dans les cieux, comme dans la chanson de qui tu sais. Un petit endroit très bien fréquenté. C’est simple, il n’y a que des potes, de la bonne bouffe, des breuvages de grand standing, quelques binouzes aussi et ces petits crus de derrière les fagots qu’il est si agréable de découvrir au hasard d’une dégustation. Et puis il y de la musique, du concert tous les soirs, tous les jours, H-24… Et de la bonne de chez bonne, le grand bœuf des grands bœufs, le Festival ultime, paraît que y’a Bowie qui vient de confirmer sa présence à l’affiche du prochain tour de chants.


Ca donne envie, tu ne trouves pas ? Le plus tard possible peut-être, mais ça donne envie. Alors voilà, la prochaine fois qu’un être aimé s’envole, qu’il ou elle nous quitte, point d’auto-apitoiement, oublions qu’il ou elle nous laisse quimper, nous laisse seul avec les chiens, avec les méchants les crétins, sous un soleil qui… tu connais la suite. Pensons à lui, pensons à elle, bien au chaud dans son petit bistrot perso là-haut, et n’affichons pas ces gueules d’enterrement.