7h12 affiche mon réveil d’un air moqueur alors que
mon fils pénètre dans notre chambre après avoir semble-t-il enfoncé la porte…
Peut-être n’a-t-il d’ailleurs fait que l’ouvrir un peu violement parce qu’à la
voir, là, encore bien posée sur ses gonds, je me dis qu’elle ne parait pas
avoir tant que ça souffert de l’outrage. Le bougre saute dans notre lit. Réveil
en fanfare et sourire de ma femme qui s’étire avant de se tourner sur le côté
pour me regarder avec un air qui ne me dit rien qui vaille.
— On est le 31, me lance-t-elle en guise de
bonjour.
Je me dis que oui, nous sommes, certes, on est,
mais encore ? Devant mon air perplexe, elle se contente de préciser :
— Il te reste moins de Dix-sept heures…
Ah. Me voilà bien avancé. Il semblerait qu’un
ultimatum quelconque vient de m’échoir mais je n’ai pas le moindre début d’une
idée quant à son contenu et par là même quant à ce que je dois faire pour m’y
conformer.
— Je sais, hasardai-je pour donner le change avant
de me lever pour aller me réfugier dans les toilettes histoire de méditer un
peu sur le sujet.
Connaissant ma femme, à la façon qu’elle a eut de
me balancer sa petite phrase en forme d’éphéméride, je ne me fais aucune
illusion. Je dois résoudre l’énigme. Il en va de ma quiétude et de ma sérénité
pour l’année qui s’annonce pas plus tard que dans… Dix-sept heures justement.
Cette pensée m’éclaire soudain : « On est le 31 » a-t’elle dit et « Il te reste
dix-sept heures » a-t’elle ajouté. Il y a sans doute bien des choses pour
lesquelles le 31 décembre est une échéance impérieuse mais parmi celles-ci, les
bonnes résolutions prises au crépuscule de l’année précédente arrivent souvent
en tête.
Bon, m’interpelai-je en sortant des toilettes,
quelle promesse inconsidérée ai-je bien pu énoncer au soir du 31 décembre
dernier ? Une promesse que je me serais donc empresser d’oublier. Je peux déjà
rayer le mariage de la liste. Nous nous sommes effectivement passés la bague au
doigt au mois d’aout après 11 ans de vie commune et deux enfants, mais nous
travaillions à la chose depuis près de 18 mois et ma demande, en bonne et due
forme, remontait à décembre… 2013. Putain deux ans !
Je doutais aussi qu’il ne puisse s’agir de la
paire de boucles d’oreille en diamants que je lui avais offertes en janvier.
Elles m’avaient coûté un bras et les deux reins mais c’était une surprise. Ma
femme m’avait certes laissé moult fois entendre qu’un tel présent la comblerait
et ce n’était point tombé dans l’oreille d’une sourd, mais je ne m’étais engagé
à rien. J’avais d’ailleurs hésité jusqu’au dernier moment comme le montrait la
course lente de mes doigts tremblants sur le clavier de la machine au moment
d’entrer mon code de CB, pour soulager mon compte bancaire d’une somme
astronomique. Il ne pouvait s’agir de cela.
Le petit déjeuner passa sans que je sois plus
avancé. J’avais beau me creuser les méninges, je ne trouvais pas. Je ne me
rappelais d’ailleurs tout simplement pas avoir formulé la moindre résolution.
Même la plus banale. Je ne fume pas, je bois avec modération, je fais du sport,
il ne fallait donc pas chercher en direction du traditionnel triptyque.
Sous la douche, il revint à ma mémoire le souvenir
d’une promesse de surveiller mon langage qui peut effectivement s’orner parfois
de quelques vulgarités, particulièrement lorsque je conduis et qu’un sombre
connard me coupe la route ou qu’une pétasse se gare en double-file pour
épargner à ses lardons les deux cent mètres entre la place disponible la plus
proche et le portail de l’école… Mais cet engagement datait de l’année d’avant et
je l’avais foiré dans les grandes largeurs. Il ne pouvait s’agir de cela non
plus.
En parlant de voiture, il est temps d’aller
chercher chez le traiteur la dinde farcie à je ne sais quoi que ma femme a
commandée pour le réveillon. Les courses ? Non. Ca fait un bail que je les fais
presque autant qu’elle et les tâches ménagères restent dévolues à notre femme
de ménage brésilienne, experte en la matière. Merde, impossible de se garer
dans cette putain de ville… Oui, je sais, mon langage… Mais bon. Il ne me reste
plus qu’à aller jusqu’au parking en priant pour que le traiteur ait bien
emballé la dinde et sa garniture pour que je puisse me la trimballer sans
encombre depuis l’autre bout de la ville… Enfin presque.
Retour maison et la dinde au réfrigérateur. Toujours
pas la moindre idée et il est midi pile. Douze heures. Pas une de plus pour me
souvenir de ma résolution en espérant qu’elle soit de celles qui puissent se
réaliser en un laps de temps très court.
Le déjeuner se passe et je surprends encore le petit
regard en coin de ma femme alors que nous buvons notre café. J’suis dans la
panade. J’en ai jusqu’aux genoux et cette bonne vieille horloge continue
d’avancer.
Tiens, si j’allais jouer un peu de guitare. Ma
femme se fait couler son bain, première étape du complexe process de sa mise en
beauté en perspective de la soirée à venir. Baumes divers, maquillage, strass
et paillettes, je me tue à lui dire qu’elle est mieux sans tout ça… Vous
connaissez la chanson. Le petit dernier est à la sieste et la grande a
entrepris de combler son retard dans les épisodes de Chica Vampiro. J’ai donc
un peu de temps libre. J’allume l’ampli et envoie quelques gammes histoires de
me chauffer les doigts. Des penta mineures… J’ai le blues… Il me reste moins de
dix heures. Au bout d’une demi-heure de cette activité solitaire, l’idée
m’effleure que j’ai pu m’engager à passer plus de temps avec elle et les
enfants et moins avec mes potes, mes guitares et mes bouquins. Pour les potes,
elle n’a pas à se plaindre, je n’ai fait que deux concerts… et le Hellfest bien
sûr. Mais ça, ça ne compte pas. Un bel effort par rapport aux années
précédentes. Pour la guitare, je ne pense pas avoir abusé et quant aux
bouquins, elle m’en a offert trois pour Noël, que j’ai certes dévorés illico,
mais elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même : un de Frédéric Dard et deux de
Thierry Jonquet, elle prenait de sacrés risques. Ca ne peut pas être ça non
plus.
Bon, le petit doit être réveillé maintenant. Je
remonte. Il dort toujours en fait, et ma femme est passée à la séance coiffure
alambiquée avec force bigoudis chauffants et autres peignes soufflants. La
grande bouquine dans sa piaule. Tout est sous contrôle. Sauf ce satané truc que
je dois faire dans les… huit prochaines heures. La Panade. J’en ai jusqu’à la
ceinture et cette bonne vieille horloge continue d’avancer.
Ma femme me suggère amicalement qu’il serait de
bon aloi que je commence à me préoccuper du repas, en dressant la table par
exemple et en commençant par préparer les canapés et autres petits-fours
qu’elle avait prévus de servir à nos invités. Je m’y attelle donc tout en
continuant de cogiter à mon problème. En vain. La table est mise et les
amuse-gueules prêts et moi je suis de plus en plus désemparé. Le petit s’est
réveillé entre temps et je le fais goûter avec sa sœur : tartines de Nutella.
Ma femme étant passée à la séquence maquillage, peu de chance qu’elle ne
descende pour nous surprendre en flagrant délit d’entorse à ses prescriptions
alimentaires… Le Nutella ? Non. Même si ma vie en dépendait je n’aurais jamais
pris le moindre engagement sur le sujet. Il y a des limites à tout.
Ma femme descend, rayonnante, éblouissante,
étincelante (les fameuses boucles d’oreilles y participent un peu) même en
peignoir. Elle m’invite à aller me préparer moi-même. Les invités, deux couples
d’amis et leur descendance, sont attendus pour dans un peu plus d’une heure… Et
moi il ne m’en reste plus que six pour ce que vous savez. Panade, jusqu’à la
poitrine, vieille pendule qui avance et avance encore…
Deuxième douche de la journée, rasage,
after-shave, une touche de Tsar by Van Cleef & Arpels, un coup de peigne.
Fin prêt. Ma femme a sorti mon costume. Enfin un costume. Le bleu foncé. Pas
celui que j’avais pensé mettre. Tant pis, ce n’est pas le moment de me la jouer
rebelle. Va pour le bleu foncé donc. Chemise blanche, cravate bleue. Et voilà.
En redescendant, je la croise qui me demande d’habiller le minot et de
surveiller que sa sœur mette bien la tenue qu’elle lui a préparée. Elle aurait
du être costumière ma femme. Bien évidemment, tous ces préparatifs n’ont pas
fait avancer ma réflexion. Coup de sonnette ! Putain de Delalande. Toujours à
l’heure. Je dégringole les escaliers et joue mon rôle d’hôte avec attention.
L’apéritif se passe, puis l’entrée, la dinde et le fromage… Et le temps itou.
Panade. Jusqu’au cou et la bonne vieille horloge qui ronronne au salon que s’en
est pénible à la fin de voir avancer ces aiguilles.
Pierre me parle de son dernier procès et Jojo de
leur nouvelle maison à Zermatt, et moi je dis que bravo, que c’est super, que
je suis content pour eux mais je ne les écoute que d’un œil, l’autre revenant
sans cesse à la fameuse pendule. C’est mort. Je le sais. Même si, par un
improbable miracle, j’arrivais à me souvenir de ma promesse, je n’aurais sans
doute plus le temps de pouvoir la réaliser. Tant pis.
Ma femme revient avec une buche au Cassis et
Marrons. Il est 23h25, juste le bon moment pour passer au dessert pour que
minuit nous voit prêts à nous embrasser pour se souhaiter tout un tas de chouettes
trucs et de beaux machins pour la nouvelle année. La buche est délicieuse même
si je ne peux pas l’apprécier à sa juste valeur, mon estomac se nouant à la
perspective des douze coups à venir qui scelleront mon destin. Panade. Par
dessus la tête… Glouglouglou…
23h52.
— Tu nous sers le Champagne ! suggère ma femme en
se dirigeant vers la cuisine pour aller chercher les mignardises sensées
accompagner les petites bulles mordorées.
Je la suis, trainant les pieds comme un qui monte
à l’échafaud. Cette fois, c’est la fin. J’entre à sa suite dans la cuisine.
Elle se retourne, s’adosse au plan de travail et me sourit. Elle est magnifique
dans sa robe noire un peu moulante, juste ce qu’il faut. Alors je m’approche
d’elle et je la prends par la taille. Je la serre contre moi et dépose un léger
baiser sur ses lèvres si douces.
— Je t’aime, susurrai-je à son oreille.
— Ah… Et bien on peut dire que c’était moins une,
dit-elle alors en souriant encore plus.
Je ne comprends d’abord pas et puis tout me
revient. La soirée du nouvel an l’année dernière, chez Jojo et Margot. Et elle
qui m’avait reproché dans la voiture sur le chemin du retour de ne jamais lui
dire que je l’aimais. Je ne sais plus comment la conversation avait commencé
mais ça n’a pas d’importance. L’important c’est que je m’étais laissé aller à
lui promettre qu’en 2015 je lui dirai plus souvent les trois mots attendus.
Elle s’était moquée en disant qu’il suffirait d’une fois. J’avais promis plus.
Si mon compte était bon, avec celui de ce soir, j’en étais à deux. Bonne
résolution 2015 tenue. Ouf !