lundi 25 novembre 2013

Bas les Pattes !


Bonjour ami lecteur. Et bien voilà, la bise est venue emportant avec elle les plaisirs de ces tournées d’Automne qui nous font patienter jusqu’au temps des derniers frimas hivernaux et des joutes épiques de ce bon vieux tournoi.

L’équipe de France traversa ces tests matches un peu comme elle a vécu le reste de son année, avec au final le triste constat de son impuissance… De la déception et beaucoup de frustration sans doute, et pas même un peu de colère à se mettre sous la dent afin de passer ses nerfs sur celui-là qui faillit dans le combat ou cet autre qui rata l’immanquable… Ne laissant à l’amateur éclairé que l’illusion que cela ne se joue qu’à pas grand-chose…
A un ballon contré et au rebond contraire dans les premières minutes d’une rencontre…
A l’opportunisme d’un adversaire vous crucifiant sur vos deux seules erreurs défensives dans une autre…
Quant aux ceusses qui aiment à refaire les histoires quand elles se finissent mal, laissons les gloser à l’envie sur ce qu’aurait pu être le destin de notre équipe si un Dieu quelconque n’avait pas voulu plaire à nos cousins ultra-alpins en leur offrant sur un plateau une victoire plus que… chanceuse, dans un premier match qui, peut-être, conditionna tout le reste…
Des petits riens, des faits anodins en apparence, des centimètres ou des centièmes de secondes, des pouillèmes, microparticules de temps et d’espace qui du haut de leur inimportance façonnent les destins…
On pourrait s’y tromper et voir dans ces petits-riens, la parfaite illustration de la vacuité de la chose alors qu’en fait ils en sont la substantifique moelle… L’essence même de ce qui nous fait nous assoir devant notre téléviseur, voire même nous fait nous en aller braver le froid et la promiscuité pour applaudir les exploits de nos équipes favorites dans des arènes inconfortables… Car ils créent l’incertitude, l’espoir et la crainte, qui font aussi le plaisir.
Oh, j’en entends déjà qui disent que non… que pas toujours… Qu’il est des confrontations qui sont jouées d’avance tant tellement l’écart de qualité est grand entre les deux adversaires… Et certains pisse-froid ne manqueront d’ailleurs pas d’asséner qu’en Rugby plus qu’en beaucoup d’autres sports, cet écart existe…
C’est vrai… Sans doute… Mais, lorsque la compétition avance et que l’enjeu augmente… Cet écart se réduit et avec lui le temps et l’espace… et l’infini petit reprend ses droits inaliénables…

La chance y fait donc aussi un peu à l’affaire… Et c’est bien… D’ailleurs, au-delà de la simple élégance de sa carène, au-delà de sa praticité lorsqu’il s’agit de l’offrir à son partenaire, la forme ovoïde de notre ballon préféré participe de ce bon principe.
Et je ne peux que louer ici la clairvoyance de ceux qui développèrent ce jeu, tout Anglais furent-ils, d’avoir par ce petit détail, fait que les trajectoires apparemment aléatoires de ses rebonds, permettent à l’objet de choisir parfois son camps… Tombant là dans les bras d’un Dominici, pour mieux fuir ici ceux d’un Huget et changer le cours d’un match…
Les arabesques capricieuses de notre précieuse mechigue font partie intégrante du charme bucolique de notre jeu…
Bien plus que ses rivales aux rondeurs insipides, notre belle sait se faire désirer pour ne s’offrir qu’à ceux qui la convoitent le plus… Comme nulle autre elle sait nous tendre les bras, nous prendre dans ses rets, pour mieux se dérober à l’instant fatidique et s’échapper lointaine et moqueuse, nous laissant là, le nez dans le gazon et l’âme en peine… Elle sait surtout nous faire croire qu’à force de temps, de patience et d’efforts, il est possible de la dompter… Qu’il est possible d’influer sur ses voltes en lui imprimant l’élan ad-hoc à l’origine de sa course…
Et c’est ainsi que dès tout petit, on nous enseigne à frapper la belle de telle ou telle manière afin de lui faire faire ceci ou encore cela… On nous dit qu’au final, plus qu’aux lois du hasard, c’est à celle de la physique que ladite coucourge obéit aveuglément et que de telles lois étant clairement établies, il est donc possible de s’en servir à son avantage… Ce qui est vrai au fond, mais fait abstraction du fait que, le centième de millimètre d’écart à l’endroit de l’impact du pied sur le cuir, est lui le fruit d’un certain hasard, ou tout au moins d’un nombre trop important de paramètres pour être totalement maitrisé…
Et il en est de même pour de nombreuses autres phases de jeu que certes, le travail, la remise sur le métier de ce que vous savez, les gammes répétées ad-nauseam et autres fastidieuses besognes, peuvent rendre plus efficace mais où la part des anges du hasard et de la chance réserve toujours quelques impondérables…

D’ailleurs, tous ceux qui ont un jour couru sur les verts pâturages rugbystiques savent bien qu’il est des jours avec et des jours sans… Des jours où quoi que vous fassiez, tout vous réussit et d’autres où une noire scoumoune semble vous poursuivre… Et que cela est parfois source de frustration…
Heureusement, dans leur infinie sagesse déjà évoquée, les pères de nos pères ont su faire en sorte qu’au moins une part de notre jeu échappe au pur hasard… Une part importante, sinon vitale, qui fait appel aux plus profonds atavismes… Le Diabolus es machina… Instants magiques, instants de liberté tant tellement rares dans notre monde aseptisé… Quand gronde la révolte des cœurs et qu’on fait enfin fi des règles pour s’en aller conquérir la toison par des moyens que la morale bourgeoise réprouvera toujours…
Des moments d’une noire férocité où chacun convoque tout ce qu’il a de courage, de roublardise et, pourquoi le taire, de sauvagerie pour aller à la mine, à la corne… Bouffes, châtaignes, poires, pêches à satiété… Menu de choix à consommer sans modération mais avec une fourchette… ou plusieurs pour les cas de grand appétit.
Le Rugbyman se doit d’avoir l’esprit Corsaire… Connaitre les règles pour mieux les contourner… Et croyez-moi ou aller vous faire considérer chez qui vous voulez, mais nos anciens de l’Equipe de France s’étaient forgés une sacré réputation en ce domaine… Surcouf aurait été fier de ses descendants…
Ecoutez nos adversaires d’alors vous conter la peur qui les étreignait au moment d’aller se coltiner avec nos avants… Et nos trois-quarts n’étaient pas en reste…
Ah les fiers guerriers ! Ah les bons hommes, du bois dont on fait les forbans sans loi ni foi et dont les seules cathédrales étaient celles dont on fait les plaquages…
Ah la belle époque ! Qu’heureusement j’ai eu l’heur de connaitre… Sur les terrains et devant ma télé… Où sont-elles passées les belles générales des temps anciens ? Ubi Sunt ? Rugby Sunt ?

Hélas, mille fois hélas, le professionnalisme et les progrès techniques sont passés par là. Et la quête de l’universalité aussi… Plus on est de cons, plus y’a du pognon… Alors faut que Monsieur ToutleMonde s’intéresse… Et Monsieur ToutleMonde est un poil pusillanime… Le coup de la corde à linge, qui a pourtant fait ses preuves ? Trop Violent ! Les mêlées qui se relèvent pour une bonne distribution de mandales ? Trop vulgaire ! Châtier l’adversaire en goguette dans notre camp ? Vous n’y pensez pas ! Bas les pattes ! Cacher cette violence que je ne saurais voir !
La preuve par l’image l’autre soir… Le carton jaune pour Domingo et la pénalité sur la charge pourtant irréprochable de Slimani… Hop… La vidéo ! Vile dénonciatrice des petits coups en douce… Aseptisé vous dis-je… On dirait du foot… Ou pire… Du basket…
D’ici là à ce qu’on joue la Coupe du Monde « à toucher »… Nah mais c’est vrai quoi… Pourquoi pas mettre des casques et des armures comme les nanas du foot US pendant qu’on y est… Et encore. Non… Je dis des conneries… J’ai connu dans ma prime jeunesse des demoiselles qui savaient elles aussi en mettre des bonnes sur un terrain… Donc je retire ce que je viens d’écrire avant qu’un mou de la coiffe ne vienne me taxer de machisme… Mais t’as saisi l’idée…
Ok. J’exagère un peu… On peut sans doute encore trouver quelques contacts rugueux, et la place pour quelques bonnes empoignades viriles mais quand même… C’est plus ce que c’était… Même le plaquage, maintenant tu dois faire gaffe à pas trop abimer ton collègue de l’autre camp… Bien l’accompagner au sol, lui amortir la chute… Pas qu’il se fasse mal… T’as presque l’impression que tu viens le border pour la nuit… Alors qu’avant t’y allais pour l’endormir franco… Boum ! Extinction des feux ! En plein dans le buffet… De nos jours, c’est tout juste si tu on t’autorise la flute à nounours… Misère.
Et le mec que je te disais, celui qui vient tomber dans ton camp sur un regroupement… Tu peux même plus t’y essuyer les crampons sur la frite sous le regard bienveillant d’un arbitre compréhensif… C’est tout l’esprit du jeu qu’on assassine !
Faut dire que le joueur de maintenant… Il vaut son pesant de pognozof… Alors le bon Président qu’a cassé sa tirelire pour lui faire porter le maillot du club, il l’a un peu mauvaise quand son bibelot se fait amicalement secouer par le mec d’en face… Alors ils crient, ils pleurent et ils s’indignent… Les présidents… Ils gueulent « Bas les pattes » ! Pas touche à mon joueur… Comme si deux ou trois côtes, une épaule, un genou en vrac c’était grave… Vont pas tarder à demander à jouer les matches sur Playstation…

M’enfin, c’est comme en tout, maintenant, faut rentrer dans le moule, être bien comme ceci, tout bien comme cela, pouvoir passer à la télé aux heures de grande écoute… Eviter le PGI de mes belles deux… garder la ménagère, son mari et les gosses devant la lucarne, les marchands de soupe vont passer. Alors pas question de voir quelques farouches ostrogoths s’étriper dans les règles de l’art sur le pré carré…
Il faut du propre, de la douceur, de la délicatesse… Bas les pattes les manieurs de manivelle à estourbir… Bas les pattes mais pas sur la frime de celui d’en face… Mains dans les poches, si possible… Bas les pattes et bas les cœurs par la même occasion. 

mardi 12 novembre 2013

Les Morues se Dessalent.


Bonjour ami lecteur. Il y a des jours et des lunes que je ne t’ai pas pris par la main pour, en quelques coups de ma plume alerte, t’emmener vers des ailleurs lointains. Longtemps que nous n’avons pas voyagé de conserve jusqu’à l’un de ces lieux magiques où j’aime à t’emmener pour te sortir un temps de ta quotidienne grisaille. Alors, viens, je t’emmène…

Je t’emmène là où chaque soir les Hellènes regardaient les chevaux du Soleil s’abimer dans l’océan. Là où s’achève notre veille Europe continentale… Un estuaire dans un Finistère encore plus jusqu’au-boutiste que l’autre… Une baie agréable…
Un lieu particulier qui fut longtemps le bout du monde… Un doigt tendu vers le ponant… Une invitation au voyage et à la découverte de nouveaux continents… Ô combien de marins, combiens de Capitaines répondirent à cet appel prégnant et s’en furent cap à l’ouest vers les terres inconnues ?
Ne sens-tu pas encore leur présence alors que tu arques sur cette promenade en bordure d’Océan ? Non ? Fais un effort que diable ! Imagine ! Rêve !
Rêve à ses fières nefs en partances vers les confins, toutes voiles carguées, fendant l’écume… Non ? Toujours pas ?
Bon. Alors regarde. Regarde un peu se monument élancé, Henrique et les autres qui poussent derrière… Toutes ces hautes figures qui partirent un jour à l’aventure, courir les Océans jusqu’aux Indes lointaines… De terres en terres, de ports en ports…
Comment ? Tu t’en tapes ?
D’accord, on continue alors… Mais avant de partir pour la citée que je souhaite te faire visiter, prenons le temps de quelques agapes…
Traversons la rue, entrons dans ce noble établissement bien à l’abri de ses stores bleus et là, dégustons cette petite pâtisserie locale qui fait la gloire du lieu. Délicieux n’est-il pas ?

Allez, il est plus que temps de poursuivre notre visite, un dernier regard vers l’estuaire avant de t’inviter à porter tes yeux vers la citée… Cette ville bleue accrochée à ses collines…
Le bleu de ses Azuléjos décorant encore quelques-unes de ses façades, de ses églises, de ses fontaines… C’est beau Non ? Allons voir de plus près.
Tu fais quoi là ? Tu veux héler un Taxi ? Non mais ça va pas. Une ville se visite pédestrement pour qui veut en comprendre la substantifique moelle… Pas acagnardé sur la banquette d’une voiture. Au pas fainéant ! En route !
Nous voici dans le Chiado, le quartier des Poètes… Là ou vécu naguère celui qui a jeté son froc aux orties pour devenir une espèce de vivante incarnation de la verve et de la joie de vivre de l’époque et finir dans la peau du poète le plus aimé du peuple. Mais si tu veux en savoir plus sur lui, allons le demander à cet autre illustre poète, celui que tu vois là, assis à la terrasse de ce café au nom si exotique. Lui, C’est Nando, pour les intimes. Un homme à part. Un grand Monsieur. Mort depuis longtemps déjà mais ô combien moderne, lui dont les nombreux hétéronymes n’auraient pas dépareillés sur un certain blog voisin. Lui unique et en même temps multiple. Asseyons-nous un instant avec lui et laissons-le nous compter son intranquillité, écoutons-le nous inviter à écouter passer le vent… Paisible ataraxie à laquelle on ne peut bien gouter qu’ici… Rien que pour cela, ça vaut la peine d’être né.
Tu dis ? Tu ne comprends rien à ce qu’il raconte… T’inquiète, t’es pas le seul, beaucoup d’autres avant toi ne l’ont pas plus compris…
Tiens, pour te changer les idées, regarde un peu par-dessus ma large épaule, tu vois cette autre statue… Un autre poète, l’héritier des Omères, le conteur d’épopée, l’auteur des Lusiades. Mais assez des tourneurs de rimes… Poursuivons notre chemin. Gagnons le Baixa, le cœur de la ville.

Ça tombe bien… On est le 12 juin… La nuit de Santo António… Quoi ? Tu dis ? On n’est pas le 12 juin ? Et alors ? T’es pas vraiment à Lisbonne non plus… Fait un effort que diable. Imagine ! Ou alors patiente jusqu’au prochain 12 juin pour lire ce merveilleux billet.
Saint Antoine disais-je… Tu te doutes que cela parle à mon âme littéraire, que ça m’évoques des choses et encore plus de machins… Mais bon, ici ça sent surtout la sardine grillées… Et c’est bien.
Des jours et des nuits de fête dans la douceur du printemps qui se meut en un doux été… Les odeurs donc, et l’éclat de mille rires et chants, et le chatoiement des couleurs de ces guirlandes de fleurs qui tombent des balcons. Allez, viens danser sur un air de Pimba, boire un verre de ce Vinho Verde qui nous vient du Minho à la santé de tous les tristes Abstèmes qui ne savent pas ce qu’ils perdent…
Allez… Maintenant suis-moi jusqu’au Castelo… Tu dis ? Ça monte ? Benh oui mon con… Mais ça en vaut la peine. Tiens, si t’es sage, ce soir je t’invite au Palacio Belmonte… Non, ne rêve pas… On prendra deux chambres… Mais je suis certain que tu vas adorer ce lieu magique et un peu hors du temps… Et si nous sommes en veine, alors peut-être qu’on verra le proprio attablé devant son café et son journal, on se joindra à lui, on fumera un cigare et on pourra causer. Tu verras, c’est un personnage.
Voilà, nous sommes arrivés… Regarde la ville palpiter à tes pieds, vois comme elle est belle dans ce crépuscule, quand les lumières descendent sur la ville et que le soleil resplendit sur la baie.
Allez, il est temps… T’as encore un peu de forces… Oui… C’est bien. La nuit est à nous. Direction l’Alfama.

Nous y voilà, le vieux quartier, les mille sources de la mémoire de la citée… Descendons d’abord jusqu’à la Sé, l’austère cathédrale puis perdons-nous dans le dédale de ces venelles étroites… Entends-tu les clochettes des tramways tintinnabuler ?
Allez, descendons… Vois comme les rues s’animent… Vois comme les gens se pressent vers ses estaminets d’où s’échappent de douces mélopées. Le Fado. L’âme du peuple Portugais.
Allez viens, entrons dans ce bar, asseyons-nous à cette longue table au milieu des habitués. Et laissons-nous porter par les voix qui s’élèvent dans la moiteur du soir. Ecoute-les chanter la Saudade, cette mélancolie particulière, une nostalgie prégnante comme une plaie ouverte, qui ajoute à la douleur de la perte d’un passé éteint et à la morsure du souvenir des amours mortes, l’impossibilité du deuil et la cruauté de l’espoir de les revoir un jour. Le Fado est, à l’instar du blues, avant tout le chant d’une douleur.
Et moi qui cultive ma mélancolie, qui en fait un sentiment positif en ce qu’elle porte en elle la certitude d’avoir au moins vécu une vie agréable, je reste là, bercé par les larmes des Sistres et de la Viole, et je pleure avec eux.

Mais il est tard à présent. Il est l’heure de rentrer. Je sais que l’on a encore vue que l’écume des beautés de cette ville, alors tu sais quoi. Vas-y si ce n’est déjà fait ou retournes-y si tu y es déjà venu… Moi, je la redécouvre à chaque voyage qui m’y mène. Et je l’aime chaque fois un peu plus.

mardi 5 novembre 2013

Mon Culte sur la Commode.


Bonjour ami lecteur. L’abondant courrier que je reçois chaque jour de la part de lecteurs assidus me fait certes chaud au cœur et m’encourage dans la poursuite de mon inestimable entreprise, mais il est aussi source de quelques tracas.

Déjà, il m’a valu l’inimitié du préposé en charge de mon quartier qui s’accommode assez mal du surcroit de travail que je lui occasionne. L’individu est assez déplaisant, il faut bien le dire, et a une certaine tendance au négativisme puisqu’à tout prendre, il pourrait tout aussi bien reconnaitre que grâce à moi, la bienveillante administration des Postes Hélvétiques lui a attribué un magnifique 40 Tonnes rutilant en échange de son vieux solex à sacoches.
De même, mes voisins, charmants au demeurant, n’ont pas manqué de me faire remarquer que les abadies de plus en plus nombreuses qui s’en viennent pèleriner et s’abalober devant mon domicile, ne sont pas sans troubler la quiétude du lieu.
Mais ces petites contrariétés ne sont rien au regard de l’affreux dilemme qui m’empare chaque jour à l’heure de choisir auxquelles de ces innombrables missives je ne pourrais pas répondre. Choix Cornélien, cruel arbitrage, pour l’homme de bonne éducation que je suis. Mais le moyen de faire autrement ? Le moyen de ne pas devoir sacrifier la plus élémentaire courtoisie sur l’autel du manque de temps ? Et donc, à mon grand dam, je me dois de me faire violence et de ne pas donner suite à certaines de ces missives.
Ah, je peux te le dire à toi puisque j’ai pris l’habitude de te ne rien cacher, mais être objet de culte n’est vraiment pas une sinécure, pour peu que, comme moi, tu aies le soin de ne jamais vouloir abandonner les âmes dont tu as charge… Ce qui ne m’empêche pas, par contre, de chercher moyen de m’acquitter de cette lourde tache à moindre effort et moindre coût.

C’est hier soir, alors que je me délectais d’un somptueux cognac, que la solution m’est apparue. Tant tellement limpide et claire que je me serais botté le train de n’y avoir pas pensé avant.
Plutôt que de m’échiner à répondre individuellement à chacun, j’allais apporter à tous une réponse collective et définitive par le truchement de mon petit espace. Rendre la chose publique, en faire réclame, montrer mon Culte en quelque sorte.
Ainsi pourrais-je dire aux nombreux et aux nombreuses qui m’écrivent pour me solliciter des faveurs particulières que le cœur et autres parties inestimables du Ytse ne sont pas à prendre, ni même à emprunter. Le Ytse est fidèle en tout mais surtout en amour. Il est donc vain, quand bien même tiendriez-vous d’Apollon ou de Venus, de m’adresser daguerréotypes et autres clichés avantageux à des fins tentatrices. L’histoire de Culte qui vous et moi nous lie est vouée à rester platonique.
Pareillement, que les ceusses qui me font part de leur admiration éperdue pour mon style et mon génie sachent que je leur en sais gré, ma légendaire modestie dusse-t-elle en souffrir. Qu’ils sachent aussi qu’en retour, j’admire leur perspicacité qui leur fait distinguer le bon grain de l’ivraie et le blog de qualité dans la jungle de la toile et qu’en conséquence, ma considération envers eux est telle que je préfère la déclamer ici en un panégyrique universel plutôt que dans l’anonymat d’un échange épistolaire. Comme cela vous ne pourrez pas prétendre que Ytse ne se bouge pas le Culte pour ses ouailles.
Enfin, à ceux qui me supplient que je leur livre les secrets de mon talent, qui me demandent conseil, ou même qui m’adressent leurs œuvres personnelles m’enjoignant de bien vouloir les abluer, les abonnir, je pense qu’ils ne mesurent simplement pas la complexité de la chose pour moi.
Tiens, toi ami lecteur qui n’est pas plus con qu’un autre, s’il te fallait expliquer comment tu respires, a un qui ne sait pas ce que c’est… Ou si tu devais décrire n’importe quelle couleur à un aveugle de naissance… Cela te serait difficile sinon insurmontable… N’est-ce pas ? Benh moi c’est pareil lorsqu’il s’agit d’expliquer le processus littéraire qui me meut à l’heure d’écrire mes petits papiers. Ce n’est point tant que je ne veuille pas le partager que le fait de ne pas pouvoir le vulgariser suffisamment pour le mettre à la portée de tous. Mais si cela peut te consoler, dis-toi qu’il est juste et bon que certaines merveilles demeurent inexpliquées et que ce mystère participe aussi à la beauté de la chose.
Tout au plus puis-je t’inviter à lire régulièrement mes miscellanées et à y puiser inspiration. Sers-toi, tout ici est à dispose et libre de droit et ce n’est pas moi qui viendrait te chercher des poux dans la faconde au prétexte que tu recyclerais quelques-unes de mes expressions ou de mes idées. D’ailleurs, il là est le seul conseil que je puis te livrer : nourris ton éloquence de tes lectures. Prends exemple. Inspire-toi de quelques maitres de bon aloi. Approprie-toi leurs formules, digère-les, accommode-les à ta sauce… La littérature est une vis sans fin qui recycle en permanence les écrits anciens en des œuvres nouvelles, des livres qui parlent de livres qui parlent de livre en de vertigineuses mises en abimes Borgessiennes.
Tel est le secret de mon art au fond, ce qui fait mon succès : mon Culte est assis sur le merveilleux héritage de ceux qui m’ont précédé.

Mais pour être parfaitement complet dans cette entreprise, il me faut aussi évoquer les ceusses qui prennent plume pour me cracher contre à propos de ceci que j’aurais écris ou cela que je n’aurais pas relevé. Tous les fâcheux qui souhaiteraient me donner des coups de pied dans le Culte au prétexte que je professe des vérités qui les dérangent et que lesdites reçoivent moult échos favorables parmi mon lectorat.
Des contempteurs, j’en ai de toutes sortes et de toutes origines.
De tristes néphalistes à l’humour en berne qui lisent tout au premier degré et me tiennent rigueur du moindre trait d’esprit.
De pauvres gavaches s’apeurant dès que j’élève la voix ou que j’ose dénoncer certaines injustices et ceux qui les perpétuent ou les tolèrent.
Des hypogonadiques envieux qui me rendent responsable de leur triste condition d’éternels sous-fifres.
Des savantasses qui s’en vont prospecter les recoins de ma prose les plus reculés à la recherche de la moindre petite approximation, n’hésitant jamais a en inventer lorsqu’ils n’en trouvent pas et qui déroulent ensuite toute une théorie de raisonnements bancals à l’appui de leurs démonstrations.
Des mirliflores pédants, troublés que j’ose prendre une autre route qu’eux et bien décidés à me le faire payer.
Et tant tellement d’autres catégories plus méprisables les unes que les autres. Sans oublier les ceusses qui cumulent toutes ces tares en une seule et même personne.
Qu’ils sachent qu’aucun instrument contemporain ne saurait mesurer la hauteur de mon indifférence pour leur piètre personne, que leur avis m’est aussi important que ma première liquette, et qu’ils auraient tout aussi bien pu s’épargner la peine de venir me le donner quand je n’avais rien fait pour les y inviter.
Parce que soucieux de préserver notre belle planète, il me déplait fort que de vénérables arbres centenaires aient dû être sacrifiés pour fournir le papier sur lequel se sont épanchés ces cuistres. Heureusement que le cher Baron et son Sergent Major sont passés par là, ce qui a au moins épargné à quelques malheureux Anserinaes l’outrage de se voir effeuiller le prozib’ pour fournir les plumes que ces sinistres auraient trempées dans leur fiel.
Ainsi, ils savent à présent que leur ardeur est vaine, que leurs récriminations sont autant d’encouragements à poursuivre la route que je me suis tracée et que leurs basses manœuvres pour porter atteinte à mon crédit auprès de mes nombreux admirateurs, sont vouées à un échec retentissant et dommageable pour leur propre crédibilité. Ce n’est pas demain qu’ils verront l’arrêt de mon Culte, ne leur en déplaise.

Voilà, ami lecteur, tu as ici un condensé fulgurant de tout ce que j’aurais pu mettre dans chacune des lettres en réponse à ceux qui m’en avaient eux-mêmes adressées. Tu peux même y trouver, ô exploit, les réponses aux lettres que tu ne m’as pas encore écrites et ainsi t’épargner cette peine. Tu peux surtout constater que le Ytse reste fidèle à son crédo. Tout sur la table, rien dans les poches. La vérité livrée belle et sans fard, exposée au su de tous. Mon Culte sur la commode et la commode au milieu de la place publique.