Bonjour
ami lecteur. Et bien voilà, la bise est venue
emportant avec elle les plaisirs de ces tournées d’Automne qui nous font
patienter jusqu’au temps des derniers frimas hivernaux et des joutes épiques de
ce bon vieux tournoi.
L’équipe de France traversa ces tests matches un peu comme elle a vécu
le reste de son année, avec au final le triste constat de son impuissance… De
la déception et beaucoup de frustration sans doute, et pas même un peu de
colère à se mettre sous la dent afin de passer ses nerfs sur celui-là qui
faillit dans le combat ou cet autre qui rata l’immanquable… Ne laissant à
l’amateur éclairé que l’illusion que cela ne se joue qu’à pas grand-chose…
A un ballon contré et au rebond contraire dans les premières minutes
d’une rencontre…
A l’opportunisme d’un adversaire vous crucifiant sur vos deux seules
erreurs défensives dans une autre…
Quant aux ceusses qui aiment à refaire les histoires quand elles se
finissent mal, laissons les gloser à l’envie sur ce qu’aurait pu être le destin
de notre équipe si un Dieu quelconque n’avait pas voulu plaire à nos cousins
ultra-alpins en leur offrant sur un plateau une victoire plus que… chanceuse,
dans un premier match qui, peut-être, conditionna tout le reste…
Des petits riens, des faits anodins en apparence, des centimètres ou des
centièmes de secondes, des pouillèmes, microparticules de temps et d’espace qui
du haut de leur inimportance façonnent les destins…
On pourrait s’y tromper et voir dans ces petits-riens, la parfaite illustration
de la vacuité de la chose alors qu’en fait ils en sont la substantifique
moelle… L’essence même de ce qui nous fait nous assoir devant notre téléviseur,
voire même nous fait nous en aller braver le froid et la promiscuité pour
applaudir les exploits de nos équipes favorites dans des arènes inconfortables…
Car ils créent l’incertitude, l’espoir et la crainte, qui font aussi le
plaisir.
Oh, j’en entends déjà qui disent que non… que pas toujours… Qu’il est
des confrontations qui sont jouées d’avance tant tellement l’écart de qualité
est grand entre les deux adversaires… Et certains pisse-froid ne manqueront
d’ailleurs pas d’asséner qu’en Rugby plus qu’en beaucoup d’autres sports, cet
écart existe…
C’est vrai… Sans doute… Mais, lorsque la compétition avance et que
l’enjeu augmente… Cet écart se réduit et avec lui le temps et l’espace… et
l’infini petit reprend ses droits inaliénables…
La chance y fait donc aussi un peu à l’affaire… Et c’est bien…
D’ailleurs, au-delà de la simple élégance de sa carène, au-delà de sa praticité
lorsqu’il s’agit de l’offrir à son partenaire, la forme ovoïde de notre ballon
préféré participe de ce bon principe.
Et je ne peux que louer ici la clairvoyance de ceux qui développèrent ce
jeu, tout Anglais furent-ils, d’avoir par ce petit détail, fait que les trajectoires
apparemment aléatoires de ses rebonds, permettent à l’objet de choisir parfois
son camps… Tombant là dans les bras d’un Dominici, pour mieux fuir ici ceux
d’un Huget et changer le cours d’un match…
Les arabesques capricieuses de notre précieuse mechigue font partie
intégrante du charme bucolique de notre jeu…
Bien plus que ses rivales aux rondeurs insipides, notre belle sait se
faire désirer pour ne s’offrir qu’à ceux qui la convoitent le plus… Comme nulle
autre elle sait nous tendre les bras, nous prendre dans ses rets, pour mieux se
dérober à l’instant fatidique et s’échapper lointaine et moqueuse, nous
laissant là, le nez dans le gazon et l’âme en peine… Elle sait surtout nous
faire croire qu’à force de temps, de patience et d’efforts, il est possible de
la dompter… Qu’il est possible d’influer sur ses voltes en lui imprimant l’élan
ad-hoc à l’origine de sa course…
Et c’est ainsi que dès tout petit, on nous enseigne à frapper la belle
de telle ou telle manière afin de lui faire faire ceci ou encore cela… On nous
dit qu’au final, plus qu’aux lois du hasard, c’est à celle de la physique que
ladite coucourge obéit aveuglément et que de telles lois étant clairement
établies, il est donc possible de s’en servir à son avantage… Ce qui est vrai
au fond, mais fait abstraction du fait que, le centième de millimètre d’écart à
l’endroit de l’impact du pied sur le cuir, est lui le fruit d’un certain
hasard, ou tout au moins d’un nombre trop important de paramètres pour être
totalement maitrisé…
Et il en est de même pour de nombreuses autres phases de jeu que certes,
le travail, la remise sur le métier de ce que vous savez, les gammes répétées
ad-nauseam et autres fastidieuses besognes, peuvent rendre plus efficace mais
où la part des anges du hasard et de la chance réserve toujours quelques
impondérables…
D’ailleurs, tous ceux qui ont un jour couru sur les verts pâturages
rugbystiques savent bien qu’il est des jours avec et des jours sans… Des jours
où quoi que vous fassiez, tout vous réussit et d’autres où une noire scoumoune
semble vous poursuivre… Et que cela est parfois source de frustration…
Heureusement, dans leur infinie sagesse déjà évoquée, les pères de nos
pères ont su faire en sorte qu’au moins une part de notre jeu échappe au pur
hasard… Une part importante, sinon vitale, qui fait appel aux plus profonds
atavismes… Le Diabolus es machina… Instants magiques, instants de liberté tant
tellement rares dans notre monde aseptisé… Quand gronde la révolte des cœurs et
qu’on fait enfin fi des règles pour s’en aller conquérir la toison par des
moyens que la morale bourgeoise réprouvera toujours…
Des moments d’une noire férocité où chacun convoque tout ce qu’il a de
courage, de roublardise et, pourquoi le taire, de sauvagerie pour aller à la
mine, à la corne… Bouffes, châtaignes, poires, pêches à satiété… Menu de choix
à consommer sans modération mais avec une fourchette… ou plusieurs pour les cas
de grand appétit.
Le Rugbyman se doit d’avoir l’esprit Corsaire… Connaitre les règles pour
mieux les contourner… Et croyez-moi ou aller vous faire considérer chez qui
vous voulez, mais nos anciens de l’Equipe de France s’étaient forgés une sacré
réputation en ce domaine… Surcouf aurait été fier de ses descendants…
Ecoutez nos adversaires d’alors vous conter la peur qui les étreignait
au moment d’aller se coltiner avec nos avants… Et nos trois-quarts n’étaient
pas en reste…
Ah les fiers guerriers ! Ah les bons hommes, du bois dont on fait les
forbans sans loi ni foi et dont les seules cathédrales étaient celles dont on
fait les plaquages…
Ah la belle époque ! Qu’heureusement j’ai eu l’heur de connaitre…
Sur les terrains et devant ma télé… Où sont-elles passées les belles générales
des temps anciens ? Ubi Sunt ? Rugby Sunt ?
Hélas, mille fois hélas, le professionnalisme et les progrès techniques
sont passés par là. Et la quête de l’universalité aussi… Plus on est de cons,
plus y’a du pognon… Alors faut que Monsieur ToutleMonde s’intéresse… Et
Monsieur ToutleMonde est un poil pusillanime… Le coup de la corde à linge, qui
a pourtant fait ses preuves ? Trop Violent ! Les mêlées qui se
relèvent pour une bonne distribution de mandales ? Trop vulgaire !
Châtier l’adversaire en goguette dans notre camp ? Vous n’y pensez
pas ! Bas les pattes ! Cacher cette violence que je ne saurais
voir !
La preuve par l’image l’autre soir… Le carton jaune pour Domingo et la
pénalité sur la charge pourtant irréprochable de Slimani… Hop… La vidéo !
Vile dénonciatrice des petits coups en douce… Aseptisé vous dis-je… On dirait
du foot… Ou pire… Du basket…
D’ici là à ce qu’on joue la Coupe du Monde « à toucher »… Nah
mais c’est vrai quoi… Pourquoi pas mettre des casques et des armures comme les
nanas du foot US pendant qu’on y est… Et encore. Non… Je dis des conneries…
J’ai connu dans ma prime jeunesse des demoiselles qui savaient elles aussi en
mettre des bonnes sur un terrain… Donc je retire ce que je viens d’écrire avant
qu’un mou de la coiffe ne vienne me taxer de machisme… Mais t’as saisi l’idée…
Ok. J’exagère un peu… On peut sans doute encore trouver quelques
contacts rugueux, et la place pour quelques bonnes empoignades viriles mais quand
même… C’est plus ce que c’était… Même le plaquage, maintenant tu dois faire
gaffe à pas trop abimer ton collègue de l’autre camp… Bien l’accompagner au
sol, lui amortir la chute… Pas qu’il se fasse mal… T’as presque l’impression
que tu viens le border pour la nuit… Alors qu’avant t’y allais pour l’endormir
franco… Boum ! Extinction des feux ! En plein dans le buffet… De nos
jours, c’est tout juste si tu on t’autorise la flute à nounours… Misère.
Et le mec que je te disais, celui qui vient tomber dans ton camp sur un
regroupement… Tu peux même plus t’y essuyer les crampons sur la frite sous le
regard bienveillant d’un arbitre compréhensif… C’est tout l’esprit du jeu qu’on
assassine !
Faut dire que le joueur de maintenant… Il vaut son pesant de pognozof…
Alors le bon Président qu’a cassé sa tirelire pour lui faire porter le maillot
du club, il l’a un peu mauvaise quand son bibelot se fait amicalement secouer
par le mec d’en face… Alors ils crient, ils pleurent et ils s’indignent… Les
présidents… Ils gueulent « Bas les pattes » ! Pas touche à mon
joueur… Comme si deux ou trois côtes, une épaule, un genou en vrac c’était
grave… Vont pas tarder à demander à jouer les matches sur Playstation…
M’enfin, c’est comme en tout, maintenant, faut rentrer dans le moule,
être bien comme ceci, tout bien comme cela, pouvoir passer à la télé aux heures
de grande écoute… Eviter le PGI de mes belles deux… garder la ménagère, son
mari et les gosses devant la lucarne, les marchands de soupe vont passer. Alors
pas question de voir quelques farouches ostrogoths s’étriper dans les règles de
l’art sur le pré carré…
Il faut du propre, de la douceur, de la délicatesse… Bas les pattes les
manieurs de manivelle à estourbir… Bas les pattes mais pas sur la frime de
celui d’en face… Mains dans les poches, si possible… Bas les pattes et bas les
cœurs par la même occasion.