lundi 20 octobre 2014

Si ma Tante en avait...


Bonjour à toi, ami lecteur et surtout à toi, fidèle lectrice enamourée... Ceci pour parer à toutes éventualités de me voir réputer misogyne au prétexte que je semble vouloir n’interpeller que mes lecteurs masculins… Principe de précaution que je raille d’habitude mais qu’il me semble sain d’appliquer ici.

Parce que vois-tu, belle lectrice, les temps étant ce qu’ils sont, il convient d’être prudent jusque dans les moindres recoins de sa prose, prudent dans le choix des mots et, encore plus prudent dans l’usage de leur genre… Parce que le risque est grand de se voir écharper, clouer au pilori, désigner à la vindicte populaire et autres petits et grands malheurs, pour n’avoir point su donner à un malheureux petit mot le genre ad-hoc… Le genre des mots posant dès lors encore plus de questions que le sexe des anges… Et ce n’est pas ce malheureux député, mort d’avoir voulu suivre l’usage et la rigueur académique plutôt que les dictats actuels, qui me contredira.
D’ailleurs, je ne suis pas sûr que toi-même, adorable lectrice, tu ne t’y perdes point dans ces Monsieur-Madame au maniement de plus en plus acrobatiques et dans les querelles qu’ils suscitent.
Au point que les plus pusillanimes en viendront vite à regretter un temps où de telles confusions ne risquaient pas de se produire étant entendu que le genre des mots, et notamment des professions, s’accordait alors sans difficulté aucune avec le sexe éminemment masculin de ceux qui les occupaient…
Point de débat sur le genre des articles précédents les Ministres, Députés, Maires, Recteurs, Juges et autres professions que la société d’alors réservait aux hommes… Mais ça c’était avant… Avant que les femmes ne s’en mêlent et n’en viennent à demander elles aussi leur part du gâteau… Signe évident de la décadence de notre société diront certains mous de la coiffe à l’émotivité facile…
Mais O Tempora, O mores et aujourd’hui vous avez, admirables lectrices, gagné de haute lutte votre droit à exercer toutes professions qu’il vous plaira…

Aujourd’hui donc, à part quelques fanés du calbute craignant pour leur virilité en péril et quelques sycophantes toujours promptes à dénoncer ceci ou cela au prétexte de la mise en danger du petit équilibre mesquin de leur vie de minables, à part ceux-là donc, onc ne se plaint du partage des tâches, que ces dernières soient ménagères au sein du couple ou décisionnelles jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat et des entreprises…  Je m’étonne donc, omnisciente lectrice, que quelques irréductibles puissent aller chercher dans l’affirmation des usages syntaxiques les dernières armes de leur combat d’arrière-garde… Je m’étonne encore plus que leurs contempteurs y répondent avec véhémence et coercition pour donner au débat une importance qui n’a pas lieu d’être et ce au détriment même de la noble cause qu’ils défendent.
Le nécessaire principe d’égalité entre tous les individus, et son application aux sexes, ne se décrète pas plus qu’il ne se défend dans la mise sous tutelle du langage. Surtout parce qu’au final, la féminisation forcée du langage est, à mon sens, moins légitime que la prédominance usuelle du masculin.
Je m’explique : le langage, la langue, se construit par l’usage et l’usage seul, toutes les règles semblant le régir n’étant que la formalisation d’usages passés, des règles qui par ailleurs doivent s’entendre comme des guides et non des lois. Elles sont au langage ce que la recette est à l’élaboration d’un plat, le nécessaire référent qui permet à ton plat, cher lecteur, et à ton discours, chère lectrice, de pouvoir au moins être compris de tous à défaut d’être forcément apprécié par tous.
Que penserais-tu alors d’une élite quelconque qui voudrait imposer la quantité de crème dans le Gratin Dauphinois, le nombre de frites par moule, ou de grains de semoule dans le couscous cher aux Français… Voués aux gémonies, raillés, moqués, chassés à coup de pierres, seraient ces illuminés. Et à juste raison…
Alors pourquoi devrions-nous accepter qu’une autre élite, toute bien intentionnée soit-elle, veuille mettre notre prose sous tutelle et nos articles définis sous surveillance ?

Une recette donc… Nécessaire, indispensable même, pour pouvoir faire usage du langage, exprimer ses pensées et les communiquer, ce qui, tu en conviendras bien, ô sublissime lectrice, doit rester sa vocation première. Vocation qui, pour être efficiente, nécessite effectivement l’établissement d’un corpus de règles afin d’établir un sens commun aux mots et à leur agencement…
C’est d’ailleurs ce qu’avait bien compris ce bon Armand lorsqu’il concourut à la création de l’Académie Française. Vénérable institution dont les statuts, comme tous statuts qui se respectent, définissent la fonction : « […] Travailler avec tout le soin et toute la diligence possible à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. »…
Fonction qui, par extension naturelle, se décline en missions, parmi lesquelles l’établissement du fameux Dictionnaire de l’Académie Française dont d’aucuns se gaussent de ne le voir jamais achevé, les cons, prouvant ainsi que justement, ils n’ont rien compris au principe même de ce dictionnaire.
Et pourtant, ce n’est pas faute d’entendre l’Académie elle-même répéter à l’envie que son rôle est uniquement de constater, de recueillir et de normaliser les usages.
Tu comprends ce que ça veut dire, toi, clairvoyante lectrice à l’esprit leste, le travail de l’Académie est sans fin et ce n’est pas pour rien que ce sont des immortels qui se voient confier cette inlassable tâche… Le moyen de faire autrement ? Parce que les hommes en vert ne créent pas la langue ex-nihilo et selon leur bon vouloir… Ils n’érigent pas tout de go et pour de bon, un ensemble de règles immuables. Ils ne se comportent pas comme ces lexicographes qu’Ambrose Bierce brocardaient comme de douteux personnages qui sous prétexte d’enregistrer un certain niveau dans l’évolution d’une langue, faisaient ce qu’ils pouvaient pour en stopper la croissance, en corseter la souplesse… A contrario, nos Académiciens ne font que suivre les évolutions tourmentées des usages en matière de langage, constatant que ledit langage est un fleuve au cours tumultueux qui, pour avoir une source lointaine vaguement identifiée, n’en n’a pas moins aucun estuaire connu, point d’océan dans lequel il se jette, point de fin en somme… Juste quelques canaux, écluses, barrages et autres ouvrages d’art pour essayer de le domestiquer… Vaille que vaille et tant mal que bien…

L’usage avant la règle ! Comprends-tu lectrice adorée ? Comprends-tu alors que les démarches de quelques muscadines afin que de plier notre langue à leur bon vouloir sont iniques autant qu’insupportables, même si heureusement vouées à l’échec pur et parfait ?
Parce que le langage est comme un cheval fougueux galopant dans les steppes et les pampas des conversations badines entre ses locuteurs… On peut lui flatter l’encolure, lui murmurer à l’oreille et parfois le convaincre d’aller de-ci, de-là, de prendre telle tournure, d’accepter telle construction… Mais on ne saurait le maintenir en un enclos étroit…  Que l’on s’y essaie, et il se cabre, rue, et finit par s’échapper…
On ne domestique pas le langage en lui imposant un carcan, on ne le plie pas à son goût ou à son avantage. Cela n’est pas possible. Cela n’a pas de sens.
Pour le maitriser, pour en maitriser la puissance et le pouvoir qu’il peut donner, il faut l’accepter comme un rebelle, un insoumis qui construit ses propres règles… Un être éminemment vivant… Une adventice vivace, prolixe et luxuriante qui n’a de cesse d’étendre ses sauvages ramifications n’en déplaise aux allergiques de tout poil.
Et cela n’a rien de compliqué. Car sa rébellion est pacifique, son insoumission de façade, et tu peux t’en faire un allier solide, volontaire et coopératif pour peu que tu t’adonnes avec délectation au jeu d’en apprendre les arcanes pour mieux les bousculer.
Tu peux toi aussi le faire vivre, l’employer à ton gré, le réinventer chaque jour au gré de tes envies, en fonction de tes besoins. Mais pas à son corps défendant.

Alors s’il me faut choisir entre Madame LE Ministre ou Madame LA Ministre, je veux pouvoir le faire selon mon  bon vouloir, selon ma propre oreille… Selon l’usage reconnu et avalisé, amie lectrice, ou à son encontre, ami lecteur… Et ce sans qu’on me jette un dictionnaire à la tête lorsque je vais à l’inverse des normes académiques, ni l’anathème en me réputant incorrigible phallocrate si je vais dans leur sens. Je veux d’autant plus qu’on me laisse apprécier qui du féminin ou du masculin aura ma préférence,  que ce débat se règlera de lui-même quand, le temps et l’usage auront fait leur œuvre… Mais d’ici là, je ne souscrirai à aucun dictat, aucune règle même issue des meilleures volontés du monde… Je n’accepterai aucun tentative d’aucun moralisateur qui voudrait mettre mon langage à sa botte fusse-t-elle à hauts talons.  Et toute tentative en ce sens se retrouvera brocardée ici… En ce lieu même où le langage, pour y avoir subi les derniers outrages, n’en est pas moins le roi.