mardi 16 juillet 2013

Salut mon Pote !


Salut mon copain, mon poteau. J’aimerais tant m’assoir cinq minutes avec toi sur la banquette en simili-cuir de ton bistrot préféré. Je te payerais un verre et on pourra causer.

Enfin, moi je causerais. Je te dirais combien je t’aime et combien tu me manques parfois. Je te dirais combien le soleil brille moins fort et moins loin depuis que t’es parti marcher à l’ombre… Que tu t’en es allé voguer sur les océans du vide et que tu es resté coincé dans l’amer des sarcasmes, le pot-au-noir du désespoir… Depuis que tu t’en es parti pour ces courses lointaines qui te tiennent loin de nous. Depuis que t’es parti t’allonger sous le vague à l’âme…
Tu nous avais avertis pourtant. Tu l’avais dit que dès que les vents souffleront tu t’en irais vers les ailleurs en nous laissant sur le quai à pleurer assis sur ce que tu sais. Putain de vent, tiens, ça craint… Ce n’était pas un Mistral Gagnant celui qui a soufflé dans tes voiles pour t’emporter loin de nous.
Pour tout te dire, parfois je t’en veux mon pote… Je t’en veux de nous avoir laissé béton… Laissé avec les cons… Alors je peste et je maugrée, je m’dis que Pourquoi D’abord ? Je te traite même de Déserteur parfois… Mais si t’es mon pote… Tu ne m’en voudras pas… Hein ?
Ouais, je sais, t’es pas mort… T’es juste parti essayer de vivre heureux en vivant caché au fond de ton bistrot peinard… Fatigué que t’étais… T’as voulu tout arrêter… et pas seulement la clope… Je te comprends dans un certain sens. Combien d’entre nous ont eu eux aussi cette envie de tout envoyer balader, de tout laisser tomber… De s’en aller à la pêche à la ligne pendant que le monde s’enfonce dans l’obscurantisme… Ouaip… T’es pas mort et un jour peut-être tu nous reviendras…
Mais en attendant tu ne chantes plus, tu n’écris plus et ton silence est assourdissant… Un putain de boucan d’enfer qu’il fait. Un putain de vide aussi.

Faut dire que tu as bercé mon enfance mon pote… Faut dire que mon père est un fan… Cent fois sur la platine il remettait ton ouvrage… Pour ma grande joie... Et ma bonne fortune aussi, moi qui fus ainsi élevé au son de ta révolte… De tes révoltes devrais-je même écrire.
Tu vois, à l’instar du grand Georges que tu chéris tant et à juste raison, j’ai moi aussi eu mes Deux Oncles… Sauf que rien ne les opposait ces deux-là… Et qu’ils n’étaient ni spécifiquement amis des Teutons ou des Tommies, mais plutôt ami des hommes… Des hommes qu’ils aimaient tant qu’ils en désespéraient de les voir souvent si cons. Des Oncles qui sont du bois dont on fait les tuteurs… De ceux qui permettent de penser droit… Des Oncles d’adoption à la plume inventive, alerte et incisive… J’ai dévoré les livres de l’un et tes chansons à toi…
Chansons caresses, chansons poing-dans-la-gueule… Je t’ai écouté dix fois, cent fois, écouté pendant des mois dire ce que tu pensais du monde et de ceux qui l’habitent… Que dis-je… Des années que je t’écoute me raconter comment la Douce France de l’ami Charles est devenu ton Putain d’Hexagone… Une éternité que je t’écoute mon pote, une éternité qui n’a hélas pas vu changer la France et le monde encore moins… Le fascisme sous toutes ses formes reste bien la gangrène qui empoisonne les consciences de Santiago jusqu’à Paris et de Manhattan à Kaboul… Putain de racisme devenu ordinaire. Putains de phobies en tout genre qui animent les cons qui me font de moins en moins rigoler. Les charognards sont là. Partout ! Je peux te dire que sur la ligne de départ de l’indicible horreur, il y a beaucoup plus que 500 malheureux connards…
Alors il y a tout un tas de gens bien intentionnés qui diront que j’exagère que je crie au loup pour rien… Mais le Loup, je l’ai vu mon pote… Je le vois tous les jours même… Et pas ce brave Canis Lupus qui se baguenaude dans nos montages et que certains voudraient bien occire au prétexte qu’il bouffe leurs troupeaux… Non… Je parle d’un loup bien plus sauvage et plus méchant, le seul qui en est un vrai pour l’homme d’ailleurs, si tu vois ce que je veux dire.
C’est pas que toute la misère du monde était plus tolérable quand tu l’as dénonçais… Mais au moins j’avais espoir et me sentais moins seul. Parce que je me disais que tu vendais pas mal de disque, que tu faisais salle comble à chacun de tes concerts et que donc il y avait quand même pas mal de monde qui se reconnaissaient dans tes coups de cœur et tes coups de gueule.
Faut dire que, quand tu mettais la main sur ton flingue, tu visais toujours au bon endroit… Droit au cœur de cette société un peu pourrie que tu dénonçais avec verve… Y’avait de l’action avec toi… De la bonne Baston… Tes disques étaient nos barricades contre la connerie, tes chansons nos fusils, tes rimes nos pavés… T’étais notre marchand de cailloux nous fournissant les projectiles que l’on pouvait balancer dans la gueule des fâcheux.
T’as éveillé ma conscience mon pote… Même si je n’étais pas de tous tes combats… Et là je sais que tu ne m’en veux pas, parce que ta liberté, que tu gardais comme une perle rare, celle que tu nous vantais, implique aussi et avant tout que l’on pense par soi-même.
Mais surtout, tu m’as appris à ne pas me taire et c’est un peu grâce à toi, et à quelques autres inspirateurs, que je tiens aujourd’hui cette tribune où je crache mon venin à la gueule des lecteurs qui me lisent dans leur fauteuil.

Mais au-delà de la révolte et des drapeaux rouges et noirs flottants au-dessus des barricades au matin du grand soir auquel tu ne crois plus… Au-delà de la hargne de la Chetron Sauvage, il y a aussi ton talent incroyable pour nous croquer la vie en deux rimes, trois accords.
Tu m’as fait voyager mon pote. Loin de ma petite banlieue tranquille de province. Tu m’as fait connaitre la zone… La Banlieue Rouge où crèchent des loubards périphériques chevauchant leur mob’ dans le petit matin blême… J’ai visité ton HLM du Rez-de-chaussée jusqu’au huitième en passant par les caves où répétait ce groupe de Hard-Rock… Comment qu’il s’appelait le p’tit, celui qui volait les mobylettes et qui chantait en Kabyle dans ce groupe ?
Un de tes innombrables potes… Ceux en cavale, ceux à l’usine, ceux qui se sont rangés des bécanes et ceux qui sont restés des p’tits voleurs… Tous ces mecs et ces gonzesses qu’on a croisés ensemble… L’autostoppeuse bêcheuse qu’on avait chargée dans la tire à ton pote André, Jojo le danseur de Tango, Gégé avec sa Malaguti 49.9 qu’es parti pour Rungis un soir de ’77 et qu’on n’a pas revu depuis, ta copine Germaine et Pépette sa cousine… Et l’autre là, qu’on a retrouvé raide comme un cierge pendu au beau milieu de sa chambre… J’ai pleuré avec toi ce jour-là… Et pis les autres, les cons… Parfois un peu sympa quand même comme ton Camarade Bourgeois un peu bobo sur les bords, et d’autres souvent bien dégueulasses comme Mr. Blanc-Cassis ou le Barbouze du Rez-de-Chaussée dans l’immeuble que je te causais… Il y en avait pour tous les gouts dans tous ces portraits que tu savais si bien nous peindre… Sans parler des figures qu’on croisait parfois au détour d’une rime, tous les habitués de ton bistrot préféré, et ton pote Coluche, et Jonathan… et ton Tonton en rose et gris…
Et Paris ? Ton Paname dont tu m’as fait tomber amoureux. Le 14ème, la Porte d’Orléans, le Paris de Doisneau, de Bruant… Le Paris que tu me chantais et que je visitais en fermant les yeux…

Tu m’as fait voyager dans le temps aussi, toi qui me parlais si bien de notre enfance partie pour ne jamais revenir sauf par procuration dans les jeux de nos enfants à nous. C’est un peu grâce à toi que l’enfant qui vivait en moi n’est jamais vraiment mort, si j’ai pu conserver cette part d’insouciance à laquelle je m’accroche comme à l’amour des miens lorsque les remous de ce monde se font trop forts et menacent de me faire sombrer.
La Nostalgie… Un autre ami m’a dit un jour que c’était un sentiment à la fois subtile et puissant, un pincement au cœur teinté de regrets, bien plus puissant qu’un simple souvenir… Tu chantais bien la nostalgie mon pote… Avec juste ce qu’il faut de noire mélancolie pour que tes vers soient un exutoire à mes propres coups de blues… Et là encore, tu nous avais prévenus : le temps est assassin et il emporte avec lui le rire des enfants… Il emporte aussi les baladins apparemment… Il emporte surtout les personnes que l’on aime et c’est pour cela que je lui en veux… Ma nostalgie à moi est dans la voix de ceux qui ne sont plus et qui parfois me manquent même s’ils restent dans mon cœur.

La tienne de voix n’est plus. Partie aux vents mauvais de tes excès qui l’ont emportée deçà delà pareil à une feuille morte… Bon tu n’as jamais été un grand chanteur… Hein ? On est d’accord là-dessus. Mais tu disais tellement dans le plus petit de tes vers que cela n’avait pas d’importance… Quand t’étais môme, tu te rêvais acteur ou écrivain plutôt que chanteur d’ailleurs… Penses-y à présent… Si tu ne peux plus chanter, si tu ne peux même plus crier alors écrits… T’es doué pour ça… Tes chansons nous le disent… Et les petits opuscules que tu as publiés aussi. Je le sais. J’en ai lu un… Ce petit recueil des chroniques que tu écrivais tantôt dans Charlie Hebdo… Un vrai régal dont je me suis délecté. Un livre qui a trouvé sa place dans ma bibliothèque, et ce d’autant plus qu’il m’a été offert par un ami cher… Une belle place… Juste à côté du Grand Fredo… Pourrais-tu avoir meilleur voisin ?
Alors à toutes fins utiles je t’indique qu’il me reste de la place dans ma bibliothèque… Et s’il le faut, je suis prêt à sacrifier un nouveau mur de ma modeste maison, n’en déplaise à Madame Ytse, pour y faire installer une extension à ce meuble vital… Tu peux donc affuter ta plume mon pote et nous adresser deux ou trois mots depuis ta retraite… Je suis certain que tu as encore des choses à dire…

Tu vois mon pote, tout ce que je viens de te dire entre quatre yeux sur cette banquette dans le fond de ce bistrot, benh on est nombreux à le penser… Je ne suis pas le seul à qui tu manques. Oh, bien évidemment nos vies ont suivi leur cours depuis que t’es parti et elles restent belles et pleines de joies ineffables…
Mais tu vois, parfois la vie me pique les yeux, pas beaucoup mais un petit peu, et dans ces moments-là, il était bon de t’entendre… C’était rassurant même de se dire qu’on n’était pas le seul à pleurer sur l’état du monde… Tu vois mon pote, tant qu’il y aura des ombres sur la nature humaine, on aura besoin de quelques phares comme toi pour nous aider à garder le cap jusqu’à la fin de ce monde mal barré.
En plus, on a toujours besoin d’un chanteur énervant pour mettre un peu d’ambiance dans le grand bal populaire… Surtout lorsque les cons de plus en plus nombreux s’invitent à la fête… Alors j’espère que t’as pas encore dansé à ton dernier bal, mon pote… Qu’on te reverra venir faire la Java avec nous… Et ce ne sera pas une Java sans joie espère…
Allez, il est tard mon pote, va falloir que je rentre chez moi, j’ai juste le temps pour une petite dernière… S’il vous plait patron ! Encore une bière…

Et un petit bonus par l'ami Yellow !