Salut
mon copain, mon poteau. J’aimerais tant m’assoir cinq minutes avec toi sur la
banquette en simili-cuir de ton bistrot préféré. Je te payerais un verre et on
pourra causer.
Enfin,
moi je causerais. Je te dirais combien je t’aime et combien tu me manques
parfois. Je te dirais combien le soleil brille moins fort et moins loin depuis
que t’es parti marcher à l’ombre… Que tu t’en es allé voguer sur les océans du
vide et que tu es resté coincé dans l’amer des sarcasmes, le pot-au-noir du
désespoir… Depuis que tu t’en es parti pour ces courses lointaines qui te
tiennent loin de nous. Depuis que t’es parti t’allonger sous le vague à l’âme…
Tu
nous avais avertis pourtant. Tu l’avais dit que dès que les vents souffleront
tu t’en irais vers les ailleurs en nous laissant sur le quai à pleurer assis
sur ce que tu sais. Putain de vent, tiens, ça craint… Ce n’était pas un Mistral
Gagnant celui qui a soufflé dans tes voiles pour t’emporter loin de nous.
Pour
tout te dire, parfois je t’en veux mon pote… Je t’en veux de nous avoir laissé
béton… Laissé avec les cons… Alors je peste et je maugrée, je m’dis que
Pourquoi D’abord ? Je te traite même de Déserteur parfois… Mais si t’es
mon pote… Tu ne m’en voudras pas… Hein ?
Ouais,
je sais, t’es pas mort… T’es juste parti essayer de vivre heureux en vivant
caché au fond de ton bistrot peinard… Fatigué que t’étais… T’as voulu tout
arrêter… et pas seulement la clope… Je te comprends dans un certain sens.
Combien d’entre nous ont eu eux aussi cette envie de tout envoyer balader, de
tout laisser tomber… De s’en aller à la pêche à la ligne pendant que le monde
s’enfonce dans l’obscurantisme… Ouaip… T’es pas mort et un jour peut-être tu
nous reviendras…
Mais
en attendant tu ne chantes plus, tu n’écris plus et ton silence est assourdissant…
Un putain de boucan d’enfer qu’il fait. Un putain de vide aussi.
Faut
dire que tu as bercé mon enfance mon pote… Faut dire que mon père est un fan…
Cent fois sur la platine il remettait ton ouvrage… Pour ma grande joie... Et ma
bonne fortune aussi, moi qui fus ainsi élevé au son de ta révolte… De tes
révoltes devrais-je même écrire.
Tu
vois, à l’instar du grand Georges que tu chéris tant et à juste raison, j’ai
moi aussi eu mes Deux Oncles… Sauf que rien ne les opposait ces deux-là… Et
qu’ils n’étaient ni spécifiquement amis des Teutons ou des Tommies, mais plutôt
ami des hommes… Des hommes qu’ils aimaient tant qu’ils en désespéraient de les
voir souvent si cons. Des Oncles qui sont du bois dont on fait les tuteurs… De
ceux qui permettent de penser droit… Des Oncles d’adoption à la plume
inventive, alerte et incisive… J’ai dévoré les livres de l’un et tes chansons à
toi…
Chansons
caresses, chansons poing-dans-la-gueule… Je t’ai écouté dix fois, cent fois,
écouté pendant des mois dire ce que tu pensais du monde et de ceux qui
l’habitent… Que dis-je… Des années que je t’écoute me raconter comment la Douce
France de l’ami Charles est devenu ton Putain d’Hexagone… Une éternité que je
t’écoute mon pote, une éternité qui n’a hélas pas vu changer la France et le
monde encore moins… Le fascisme sous toutes ses formes reste bien la gangrène
qui empoisonne les consciences de Santiago jusqu’à Paris et de Manhattan à
Kaboul… Putain de racisme devenu ordinaire. Putains de phobies en tout genre
qui animent les cons qui me font de moins en moins rigoler. Les charognards
sont là. Partout ! Je peux te dire que sur la ligne de départ de
l’indicible horreur, il y a beaucoup plus que 500 malheureux connards…
Alors
il y a tout un tas de gens bien intentionnés qui diront que j’exagère que je
crie au loup pour rien… Mais le Loup, je l’ai vu mon pote… Je le vois tous les
jours même… Et pas ce brave Canis Lupus qui se baguenaude dans nos montages et
que certains voudraient bien occire au prétexte qu’il bouffe leurs troupeaux…
Non… Je parle d’un loup bien plus sauvage et plus méchant, le seul qui en est
un vrai pour l’homme d’ailleurs, si tu vois ce que je veux dire.
C’est
pas que toute la misère du monde était plus tolérable quand tu l’as dénonçais…
Mais au moins j’avais espoir et me sentais moins seul. Parce que je me disais
que tu vendais pas mal de disque, que tu faisais salle comble à chacun de tes
concerts et que donc il y avait quand même pas mal de monde qui se
reconnaissaient dans tes coups de cœur et tes coups de gueule.
Faut
dire que, quand tu mettais la main sur ton flingue, tu visais toujours au bon
endroit… Droit au cœur de cette société un peu pourrie que tu dénonçais avec
verve… Y’avait de l’action avec toi… De la bonne Baston… Tes disques étaient nos
barricades contre la connerie, tes chansons nos fusils, tes rimes nos pavés…
T’étais notre marchand de cailloux nous fournissant les projectiles que l’on
pouvait balancer dans la gueule des fâcheux.
T’as
éveillé ma conscience mon pote… Même si je n’étais pas de tous tes combats… Et
là je sais que tu ne m’en veux pas, parce que ta liberté, que tu gardais comme
une perle rare, celle que tu nous vantais, implique aussi et avant tout que
l’on pense par soi-même.
Mais
surtout, tu m’as appris à ne pas me taire et c’est un peu grâce à toi, et à
quelques autres inspirateurs, que je tiens aujourd’hui cette tribune où je
crache mon venin à la gueule des lecteurs qui me lisent dans leur fauteuil.
Mais
au-delà de la révolte et des drapeaux rouges et noirs flottants au-dessus des
barricades au matin du grand soir auquel tu ne crois plus… Au-delà de la hargne
de la Chetron Sauvage, il y a aussi ton talent incroyable pour nous croquer la
vie en deux rimes, trois accords.
Tu
m’as fait voyager mon pote. Loin de ma petite banlieue tranquille de province.
Tu m’as fait connaitre la zone… La Banlieue Rouge où crèchent des loubards
périphériques chevauchant leur mob’ dans le petit matin blême… J’ai visité ton
HLM du Rez-de-chaussée jusqu’au huitième en passant par les caves où répétait
ce groupe de Hard-Rock… Comment qu’il s’appelait le p’tit, celui qui volait les
mobylettes et qui chantait en Kabyle dans ce groupe ?
Un
de tes innombrables potes… Ceux en cavale, ceux à l’usine, ceux qui se sont
rangés des bécanes et ceux qui sont restés des p’tits voleurs… Tous ces mecs et
ces gonzesses qu’on a croisés ensemble… L’autostoppeuse bêcheuse qu’on avait
chargée dans la tire à ton pote André, Jojo le danseur de Tango, Gégé avec sa
Malaguti 49.9 qu’es parti pour Rungis un soir de ’77 et qu’on n’a pas revu
depuis, ta copine Germaine et Pépette sa cousine… Et l’autre là, qu’on a
retrouvé raide comme un cierge pendu au beau milieu de sa chambre… J’ai pleuré
avec toi ce jour-là… Et pis les autres, les cons… Parfois un peu sympa quand
même comme ton Camarade Bourgeois un peu bobo sur les bords, et d’autres
souvent bien dégueulasses comme Mr. Blanc-Cassis ou le Barbouze du
Rez-de-Chaussée dans l’immeuble que je te causais… Il y en avait pour tous les
gouts dans tous ces portraits que tu savais si bien nous peindre… Sans parler
des figures qu’on croisait parfois au détour d’une rime, tous les habitués de
ton bistrot préféré, et ton pote Coluche, et Jonathan… et ton Tonton en rose et
gris…
Et
Paris ? Ton Paname dont tu m’as fait tomber amoureux. Le 14ème,
la Porte d’Orléans, le Paris de Doisneau, de Bruant… Le Paris que tu me
chantais et que je visitais en fermant les yeux…
Tu
m’as fait voyager dans le temps aussi, toi qui me parlais si bien de notre
enfance partie pour ne jamais revenir sauf par procuration dans les jeux de nos
enfants à nous. C’est un peu grâce à toi que l’enfant qui vivait en moi n’est
jamais vraiment mort, si j’ai pu conserver cette part d’insouciance à laquelle
je m’accroche comme à l’amour des miens lorsque les remous de ce monde se font
trop forts et menacent de me faire sombrer.
La
Nostalgie… Un autre ami m’a dit un jour que c’était un sentiment à la fois
subtile et puissant, un pincement au cœur teinté de regrets, bien plus puissant
qu’un simple souvenir… Tu chantais bien la nostalgie mon pote… Avec juste ce
qu’il faut de noire mélancolie pour que tes vers soient un exutoire à mes
propres coups de blues… Et là encore, tu nous avais prévenus : le temps
est assassin et il emporte avec lui le rire des enfants… Il emporte aussi les
baladins apparemment… Il emporte surtout les personnes que l’on aime et c’est
pour cela que je lui en veux… Ma nostalgie à moi est dans la voix de ceux qui
ne sont plus et qui parfois me manquent même s’ils restent dans mon cœur.
La
tienne de voix n’est plus. Partie aux vents mauvais de tes excès qui l’ont
emportée deçà delà pareil à une feuille morte… Bon tu n’as jamais été un grand
chanteur… Hein ? On est d’accord là-dessus. Mais tu disais tellement dans
le plus petit de tes vers que cela n’avait pas d’importance… Quand t’étais
môme, tu te rêvais acteur ou écrivain plutôt que chanteur d’ailleurs… Penses-y
à présent… Si tu ne peux plus chanter, si tu ne peux même plus crier alors
écrits… T’es doué pour ça… Tes chansons nous le disent… Et les petits opuscules
que tu as publiés aussi. Je le sais. J’en ai lu un… Ce petit recueil des
chroniques que tu écrivais tantôt dans Charlie Hebdo… Un vrai régal dont je me
suis délecté. Un livre qui a trouvé sa place dans ma bibliothèque, et ce
d’autant plus qu’il m’a été offert par un ami cher… Une belle place… Juste à
côté du Grand Fredo… Pourrais-tu avoir meilleur voisin ?
Alors
à toutes fins utiles je t’indique qu’il me reste de la place dans ma
bibliothèque… Et s’il le faut, je suis prêt à sacrifier un nouveau mur de ma
modeste maison, n’en déplaise à Madame Ytse, pour y faire installer une
extension à ce meuble vital… Tu peux donc affuter ta plume mon pote et nous
adresser deux ou trois mots depuis ta retraite… Je suis certain que tu as
encore des choses à dire…
Tu
vois mon pote, tout ce que je viens de te dire entre quatre yeux sur cette
banquette dans le fond de ce bistrot, benh on est nombreux à le penser… Je ne
suis pas le seul à qui tu manques. Oh, bien évidemment nos vies ont suivi leur
cours depuis que t’es parti et elles restent belles et pleines de joies
ineffables…
Mais
tu vois, parfois la vie me pique les yeux, pas beaucoup mais un petit peu, et
dans ces moments-là, il était bon de t’entendre… C’était rassurant même de se
dire qu’on n’était pas le seul à pleurer sur l’état du monde… Tu vois mon pote,
tant qu’il y aura des ombres sur la nature humaine, on aura besoin de quelques
phares comme toi pour nous aider à garder le cap jusqu’à la fin de ce monde mal
barré.
En
plus, on a toujours besoin d’un chanteur énervant pour mettre un peu d’ambiance
dans le grand bal populaire… Surtout lorsque les cons de plus en plus nombreux
s’invitent à la fête… Alors j’espère que t’as pas encore dansé à ton dernier
bal, mon pote… Qu’on te reverra venir faire la Java avec nous… Et ce ne sera
pas une Java sans joie espère…
Allez,
il est tard mon pote, va falloir que je rentre chez moi, j’ai juste le temps
pour une petite dernière… S’il vous plait patron ! Encore une bière…
Et un petit bonus par l'ami Yellow !
Et un petit bonus par l'ami Yellow !