Bonjour ami lecteur, ce matin comme un autre j’accompagnais ma fille sur le
chemin des écoliers… Bucolique promenade avant de se lancer dans le tourbillon
frénétique d’une journée de travail. Parenthèse enchantée… Main dans la main…
Petits propos futiles, amusants babillages… Elle me parle de tout et de rien
avec la même conviction, le même éclat d’innocence pure dans le regard.
Elle me conte le dernier épisode de son émission fétiche, me parle de sa
mère aussi un petit peu… Elle me dit son impatience de bientôt rencontrer ce
petit frère qui arrive au joli mois de mai…
Elle parle, parle, parle et j’écoute cette douce musique…
L’envie est là, tout proche, de s’arrêter soudain pour s’assoir sur un banc
cinq minutes avec elle… Ou plus longtemps encore… Saisir cette liberté qui nous
tend les bras. Faire l’Ecole et le Travail Buissonniers. Rester toute la
matinée sur ce banc à regarder la vie s’écouler autour de nous. Ne rien faire
d’autre. Mais le banc est déjà dépassé et nos pas mécaniques nous amènent
bientôt à cette cour ouverte sans mur, ni portail.
Telles sont les Ecoles dans nos petits Villages Vaudois : un bâtiment,
une vaste cour et aucune enceinte pour les couper du monde. Jaurès ne disait-il
pas que Construire des Ecoles s’était abattre les murs des Prisons… Et comme il
avait raison… Mais alors pourquoi reconstruit-on souvent ces murs autours de
ces mêmes écoles ? Hauts les murs et clos le portail. Fermées à double tour et donc hors du monde et du temps les Ecoles… Ici s’arrête la
vie, ici commence l’Ecole… Etrange si t’y penses. Et pour quoi faire
surtout ?
Alors je regarde cette cour où s’ébattent de nombreux enfants attendant que
la cloche les propulse en rangs dispersés vers leurs classes respectives. Et je
me souviens de ce portail vert que je franchissais minot, le cartable sur le
dos, pour entrer dans ce lieu ceint de murs paraissant infinis à mes yeux
d’enfant. Je me dis que peut-être aurais-je aimé pouvoir jouir aussi de cette
impression de disposer de la liberté de pouvoir délaisser le tableau noir et la
voix de mon maitre pour m’en aller me baguenauder dans les prairies alentours bruissant
du joyeux ramages des oiseaux de passage.
Je la revois bien la cour de l’Ecole de mon enfance… L’Ecole des Garçons
comme on l’appelait encore alors même que la mixité avait heureusement déjà
cours… Le portail vert que je te disais, puis ce vaste rectangle de bitume
percé de deux rangées de platane. Le grand bâtiment de deux étages qui abritait
les salles de classe se prolongeait d’un préau qui lui se contentait d’abriter
nos jeux lorsque le temps se faisait moins clément. Que de bons moments passés
dans cette cour… Dans les frimas des aubes hivernales ou sous le doux soleil
des matins de printemps.
J’ai neuf ans, j’sais que ce n’est pas vrai mais, disons que j’ai neuf ans.
Je dis au-revoir à ma mère d’un baiser bref, pas que les autres me vois trop
encore dans ses jupes… Besoin de montrer son indépendance…Déjà... Je franchis le
fameux portail et je rejoins Yohann, David, Eric ou Smaïn… Paroles échangées…
Paroles d’enfants que j’ai oubliées depuis… Tu t’en souviens toi de ce dont on
pouvait bien se parler à neuf ans dans les années Septante et des ?
La cloche allait sonner, alors pas le temps d’organiser un de nos jeux
habituels…. Cowboys contre Indiens, gendarmes et voleurs… sans parler des
parties de football improvisées… A peine le temps d’échanger quelques billes ou
quelques-unes de ces images panini qui commençaient à faire fureur à l’époque…
Osvaldo Piazza… Tu t’en souviens ? Il m’a fallu des semaines pour
finalement pouvoir enfin coller son image dans mon album… Echangée contre
celles de 3 obscurs joueurs de ce petit club tout neuf de la lointaine
capitale… Et soudain le tintement strident de la cloche électrique retentit et
nous prenons tous notre place dans nos rangs respectifs attendant que le maitre
nous fasse signe de le suivre jusqu’à la classe…
Nous obtempérons sagement… L’hiver avec la délectation de pouvoir se
réchauffer enfin, et aux beaux jours, avec un regard de regret vers cette cour
où nous aimerions tant pouvoir continuer à jouer.
Les deux CP, le bureau du Directeur et les deux CE1 au rez-de-chaussée, le
CE2, le CM1, le CM2 et l’appartement de fonction occupé par un des instituteurs
au premier étage… On pénètre dans le saint lieu du savoir… On s’installe à nos
places… Vieux écritoires de bois dont le dessus se lève dans un grincement de
charnières rouillées et dans lesquels nous laissons nos cahiers et nos livres…
Le cours commence… Un coup d’œil vers la pendule… Il est 8h30… Dans une heure
et demie ce sera la récrée…
Mais en attendant… Dictée… Oups… J’en transpire déjà… Pas mon fort la
dictée… Je suis bien meilleurs en Math et en Rédac’… Et puis pardon, les
instits de l’époque… Ils n’y allaient pas avec le dos de la cuillère au moment
de noter… Fautes de Grammaire ou de Conjugaison = 2 points en moins… Fautes d’orthographe = 1 point en moins… Quand tu pars de dix… T’es vite à zéro… Alors
que maintenant tu pars de vingt et c’est par quart de point qu’ils décomptent…
Pitain… Les dictées, c’était plus dur avant…
Enfin… Jusqu’ici j’ai toujours limité les dégâts… Pas comme mon pote Yohann
et encore moins comme le gars Bruno… Le Cancre de la Classe… Le pauvre… Il n’a
certainement pas la lumière à tous les étages…
Et ce salaud d’Instit qui s’est cru malin en l’envoyant chez le Dirlo
chercher « Le Compas qui fait des Ronds Carrés »… Il y’est allé le
con… Revenu la queue entre les jambes et en chialant comme une madeleine… Le
Dirlo n’avait pas gouté la blague et l’avait copieusement engueulé… Il lui
avait collé 100 lignes… Ils ne badinaient pas avec la discipline à l’époque les
instits… Alors que maintenant, tu peux presque leur pisser contre… Tu risques
quoi ? Un avertissement ? Et au bout de 100 avertissements ? Un
blâme ! Et au bout de 100 blâmes… Ah c’est sûr, les Instits… Ils étaient
plus durs avant… Mais bon prince, le nôtre avait promis au pauvre Bruno
d’intercéder en sa faveur et de dire au Dirlo que c’est lui qui l’avait envoyé…
Mais bon… Allons-y pour cette dictée… Putain… Le père Hugo qui demain dès
l’aube veut aller arquer dans la cambrouse à l’heure où celle-ci blanchira… Moi
tu me connaissais pas à l’époque, mais j’avais déjà le gout des ballades
champêtres… Et donc le Hugo et son désir d’ailleurs ok… Mais ce besoin de le faire
savoir en Alexandrins… Bon. Va falloir s’accrocher…
La voix du Maitre qui scande les mots en bon pédagogue, insistant de-ci
de-là sur une prononciation pour bien nous faire sentir une redoublement de
consone ou la marque d’un féminin… Il est long ce texte… Y’a des pièges… Pas le
moment de se laisser endormir par le ton monocorde du Maitre qui n’en finit pas
d’ânonner sa dictée… Et Harfleur ? Mais c’est quoi ce bled… Et comment ça
s’écrit… Doit bien y avoir un « H » quelque part… Enfin… Arrive la
délivrance… Le tant attendu point final… Le temps de se relire… Ça devrait
jouer… Ah non « Quand j’arriverai… » C’est un futur… Pas de
« S »… Ouf…
On pose nos stylos et le Maitre ramasse les copies… J’en profite pour
adresser mon sourire 69bis à Sophie… Elle y répond en rougissant un peu… C’est
dans la poche…
Conjugaison… Impératif présent… Bon… Verbes du Premier Groupe… Première et
Deuxième du Pluriel tout pareil que l’indicatif présent… Fastoche. Par contre…
Cette Deuxième personne qui se conjugue comme la première… Sans parler de ces
euphonies qui te changent la donne et te font mettre des « S »… Exercice… Ça colle… Ah merde… J’ai mis un
« S » à « Marche »… Un petit coup d’effaceur… Ni vu, ni
connu…
La pendule n’est pas d’argent et donc ne ronronne pas au salon mais se
contente de donner l’heure sur le mur de la classe au-dessus du bureau du
Maitre… 9h45… Bientôt la récrée… Un nouveau petit regard par en-dessous vers
Sophie… Et un nouveau sourire, 49ter cette fois… Elle rougit de plus belle…
J’irais lui parler à la récrée… Elle partagera peut-être son gouter avec moi…
Je reviens à mes exercices… Encore deux phrases. J’ai fini… Avant tout le
monde sauf Nathalie… La première de la Classe… Toujours… Moi… Deuxième… Ça me
va… Devant mais pas trop… Discret… Ne pas trop sortir du rang… Ça craint sinon
avec les potes… D’ailleurs y’a les compos qu’approchent bientôt… Faudra que je
revoie cet impératif de mes belles deux… On ne sait jamais…
L’Instit me regarde… Oups… Faire semblant de n’avoir pas fini pour pas qu’il se lève et vienne regarder ce que j’ai fait… J’ai tout bon… Je le sais… Mais je ne me suis pas super appliqué pour écrire… Et puis mon stylo bave un peu…
L’Instit me regarde… Oups… Faire semblant de n’avoir pas fini pour pas qu’il se lève et vienne regarder ce que j’ai fait… J’ai tout bon… Je le sais… Mais je ne me suis pas super appliqué pour écrire… Et puis mon stylo bave un peu…
Le temps s’allonge indéfiniment… Tiens… Je vais faire l’exo numéro 7… Y’a
toutes les chances qu’il nous le colle à faire à l’Etude… Donc si je le fais
maintenant je pourrais peut-être avoir plus de temps pour jouer à la fin de
l’heure d’étude… Un pari… Un risque à prendre… S’il ne nous le donne pas… Je
l’ai dans l’os et j’ai bossé pour rien… Pas grave… Ce n’est pas long…
La voix du Maitre de nouveau : « Vous me ferrez l’exercice 7 à
l’Etude »… Arff… J’suis le meilleur…
Sonnerie… Récrée ! Lâchez les fauves…
Je me lève et bouscule mon voisin. Il ne se réveille pas. Comme
d’habitude. Je l’ignore et me dirige vers les porte-manteaux de ma démarche
féline. Déjà classe le Ytse… La patère de Sophie est un peu éloignée de la
mienne. La faute à nos noms de famille qui ne commencent pas par la même
lettre… C’est con… Y’a peut-être quelque part dans le vaste monde, un alphabet
quelconque où le M et le R son concomitants… Mais je ne le connais pas… En tout
cas… Dans le nôtre d’alphabet, y’a quatre autres lettres entre nos deux
initiales… En plus elle est au début du M et moi à la fin du R… et donc y’a 9 Clampins
qui se sont glissés entre nous… Pas grave… Je prends ma parka et l’enfile tout en
m’approchant d’elle, si belle avec ses longs cheveux noirs bouclés et ses
grands yeux ensorceleurs…
Une main sur mon épaule… C’est David… Il me montre un énorme sac de billes…
Me dit son intention de poser «une vingt »… Je regarde Sophie, David,
Sophie, le Sac de Billes… Va pour les billes… J’ai neuf ans je te rappelle… et
le sens des priorités qui va avec…
J’emboite le pas à David. Sophie baisse les yeux. Un peu triste.
La sonnerie retentit déclenchant une explosion de courses précipitées vers
les portes des différentes classes. Ma fille coure vers moi, et j’émerge de mon
rêve éveillé. Elle m’embrasse et repart vers sa journée d’écolière. Et moi j’aimerais
la suivre… Retomber en enfance… Pour un instant…Pour un instant seulement
partager ces moments magiques de l’apprentissage. Quand chaque jour apporte sa
cohorte de nouveauté… Quand tout est encore neuf… Quand un rien t’émerveille…
Je regarde ma montre… Il est temps que j’y a aille… Vingt minutes de trajet
et réunion à neuf heures…
Une porte claque… Et le silence revient dans cette cour… Déserte à présent.
Les derniers parents s’empressent, qui vers sa voiture, qui pour rentrer chez
soi…
Un dernier regard vers cette fenêtre éclairée à travers laquelle je vois
danser les ombres de petites silhouettes… Je reconnais celle de ma fille… Ou
tout du moins m’en persuade. Je lui envoie un dernier baiser du bout des doigts
avant de faire demi-tour pour quitter à mon tour le monde de l’enfance pour celui des adultes…