lundi 25 février 2013

Rue des Macchabées.


Les poings serrés au fond des poches de son blouson, John-Michael flippe à mort, il s’est encore fait jeter… Par la rouquine du pressing du centre-ville cette fois. Pourtant… Pourtant on la lui avait affirmée pas farouche, aimable, accueillante… Et elle lui avait décoché des œillades prometteuses quelques jours auparavant, lorsqu’il lui avait apporté ses deux chemises et son pantalon. Alors il était parti gaillard le matin même, presque à l’aube. A l’heure où la campagne fait ce que vous savez dans tous les coins du monde sauf ici… A Birmingham, rien ne saurait être jamais totalement blanc… Pas même les seins ronds de ladite rouquine qu’il s’était imaginé tout au long du chemin et des quatre bornes et plus qu’il avait dû se taper pour aller de son appartement miteux jusqu’au fameux pressing.
Tout ça pour un tout beau râteau. Un de plus. Il aurait presque pu vouloir ouvrir un Jardiland si ce noble établissement avait existé dans sa banlieue merdique et en cette lointaine époque…
Faut dire aussi qu’il n’avait pas eu de bol. Il s’était pointé devant la miss avec une superbe chiure de mouette sur l’épaule gauche. Incident dont il ne s’était aucunement rendu compte, perdu qu’il était dans des pensées lubriques. Bref… La môme avait tiré la gueule et sa révérence en le voyant déboulé ainsi cocardé.
Au moins, cette fois, ce n’était ni son dénuement criard, ni son passé de cambrioleur minable qui avaient fait s’envoler l’objet de son désir ardent. Juste une putain de mouette diarrhéique. Il se mit illico à détester tous les Larinae et à murir des plans de vengeance. Si il arrivait à choper un de ces oiseaux de malheur, il lui arracherait sa putain de tête avec ses dents. Et s’il ne pouvait pas attraper une mouette, n’importe quel autre volatile ferait l’affaire. Même une de ces putains de colombes qui, tous les matins, lui cassaient les oreilles et le reste avec leurs atroces roucoulades. Mort aux oiseaux.
Et mort aux poules aussi. Ces putains de bonnes femmes qui semblaient toutes se prendre pour des princesses dont il ne serait même pas digne de devenir l’ombre de leur putain de chien pour celles qui en avait… Les femmes étaient mauvaises… Maléfiques même… Oh… Pas encore de quoi virer de bord… Même si il n’y aurait pas eu de mal à ça… Mais quand même les bonnes femmes…
Il donna un coup de pied dans une canette de bière vide, et le bruit métallique résonna dans le silence oppressant de cette rue morte, ne semblant déranger personne à part un énorme rat occupé à manger une feuille de salade flétrie…
Il se serait presque cru dans un village endormi plutôt qu’au milieu de cette immense ville tentaculaire…
Il releva la tête vers le haut de la rue. Terrence était déjà là. Appuyé contre un réverbère. Une cigarette aux lèvres.

Les poings serrés au fond des poches de son blouson, Terrence flippe à mort, il est encore trempé. Il déteste cette pluie qui colle ses longs cheveux noirs dans son cou, laissant dégouliner des goutes glacées le long de son dos… En plus on est Samedi… Et il déteste le Samedi…
Samedi, putain de Samedi… Un beau jour de merde par ici où l’ennui se traine encore plus lourdement… Pas qu’il aime le boulot… Mais au moins ça l’occupe… Ca l’empêche de penser à ce monde merdique qui part en couille ici et même ailleurs comme dans ce putain de Viet Nam et cette guerre qui n’en finit pas…
Cons d’Américains qui vont se faire dégommer à l’autre bout du monde sans que personne ne leur ait rien demandé cette fois… Au nom de leur risible crainte de l’ogre communiste… Comme si le matin du grand soir n’était pas qu’une vaste blague qu’on racontait aux pauvres de temps à autre pour qu’ils se tiennent tranquilles en se contentant d’espérer des lendemains meilleurs… Internationale mon cul… Ça n’arrivera jamais… Ils ont trop de trucs plus importants à faire lesdits pauvres, à commencer par ne pas crever de faim… Alors ces putains de cochons de bourgeois, ils peuvent vaquer en paix à leurs basses manœuvres… Ils vivront vieux eux…
D’ailleurs… Les cochons en général… Ça vit vieux… Plus vieux que ces putains de vaches à lait, que ces de chevaux de trait… Plus vieux que toutes les bêtes de somme que l’on exploite jusqu’au trognon… Cochons de riches… Les Cochons de la guerre dans le cas de ce putain de Viet Nam…
Il sort son paquet de cigarettes et s’allume une cibiche… Il tire une longue bouffée qu’il recrache aussitôt observant les volutes s’envoler dans l’air figé de ce samedi pourri…
Ouaip, il déteste le Samedi et il broie du noir… Et pas un de ces noirs élégants qui revêt le costume de ces richous qu’ils croisent de loin en loin quand parfois il se promène dans leurs putains de Ghettos pour gens aisés…. Pas de ces noirs menaçants qui parent les drapeaux des révoltes les plus exaltantes… Non… Un noir hideux, putride, glauque… Putain de samedi noir de merde…
Sa clope se consume jusqu’au bout du bout-filtre… Il crache et adresse un vague signe de tête à John-Michael qui vient juste de le rejoindre… Poignée de main silencieuse… Ils repartent vers le bas de la rue…

Les poings serrés au fond des poches de son blouson… William flippe à mort, il est encore bourré. Son visage lui fait mal. Il faut dire que cette fois, Terry et Oz’ ont franchement déconné à mettre le feu à sa barbe alors qu’il cuvait encore la bière de sa dernière cuite… Ils les aiment bien sans doute… Ce sont ses potes… Les seuls avec Frank… Et Frank le fait vraiment flipper parfois…
Il y’a des côté glauques chez Frank, des noirceurs qui lui feraient presque peur s’il en avait quelque chose à foutre de cette vie de merde… Mais quand on est comme lui, comme eux, né du mauvais côté de la barrière, à Birmingham, on a rien à gagner et rien à perdre… Peut-être même pas la vie… Alors il ne faut pas s’étonner que des tas de jeunes comme lui, comme eux, n’aiment que la mort… Et les croquants et les croquantes, tous les gens bien intentionnés s’étonnent, s’attristent peut-être, mais flippent surtout à les voir eux, ces jeunes venus du fond des banlieues pourries de la ville… Des jeunes dont on pourrait croire qu’ils n’aiment que tout ce qui est cassé, détruit…
Tout ce qui fait peur en somme… La douleur… La nuit…
Alors il s’en cogne un peu de ses brulures et des jeux de cons de ses potes… Il peut même les comprendre quand tu n’as que deux avenirs possibles… Le merdique et le très merdique… Ce n’est pas plus mal que tu puisses t’amuser d’un rien…
Il en rigolerait presque maintenant… Alors, lorsque la main lourde de Terrence s’abat sur son épaule et que John-Michael lui lance un de ses cris suraigus dont il a le secret dans l’oreille, lui martyrisant le tympan… Alors il se met à rire… Et eux de faire chorus… Ils se marrent comme des bossus sous le regard plein de reproche d’un vieil homme qui passe devant eux au volant de sa Jaguar de merde…
William lui adresse un signe amical de la main, majeur tendu bien haut… et le mec accélère pour disparaitre au coin de la rue.

Ils se regardent… Les trois… Un chiffre un peu con… le trois… Si t’y pense… Con au point que dans les romans… Même quand les héros sont trois… benh en fait ils sont quatre… D’ailleurs eux-mêmes… Ils sont quatre…
Eux trois… Plus Frank… Frank le putain de magicien qui les unis tous…

Les poings serrés au fond des poches de son blouson… Frank Antony flippe à mort en contemplant sa main droite mutilée… Souvenir de l’usine… Bizarre la vie quand on y pense… Ces phalanges tombées au champ du déshonneur de la servitude ouvrière auraient dû sonner le glas de ses espoirs de carrière guitaristique… Et pourtant… Ce handicap qui aurait pu être rédhibitoire semblait bien lui avoir permis de faire sonner sa gratte comme personne… Il avait dû réinventer un peu son jeu, triturer les accords, les tordre à sa main… Faut dire qu’on lui avait parlé de ce mec au nom bizarre, Django Reinhardt… Un gonze lui aussi estropié… Enfin estropié de la main… On dit comment ? Estromané ? Arffff…
Bref, le gars Django qui malgré ce handicap bottait le cul à la plupart des gratteux de tout poil… Si le Manouche y arrivait… Pourquoi pas lui… Oh… Sans peut-être atteindre le niveau du Django… Mais au moins suffisamment pour sortir du lot… Pour y arriver… Arriver où d’ailleurs… Il ne savait pas trop…
Ce qu’il savait par contre… C’est d’où il partait… Et putain oui… Il voulait partir… Quitter cette ville et cette vie… Qu’importe le moyen et le temps que cela prendrait, il voulait se sortir d’ici… Même en marchant sur ses putains de mains… Il ne vivait plus que par cet espoir, dût-il en crever… A tout prendre, il valait mieux mourir jeune que de vivre vieux dans cet endroit minable…
Qu’importe la destination aussi… Après tout, il n’y avait peut-être pas de paradis sur terre… Ça, il ne le savait pas… Mais l’enfer, oui… Il existait… Là… A Birmingham, West Midlands, England… Paradis et Enfer… Après tout… Il s’en foutait… L’un ou l’autre… Mais loin d’ici…
Il relève la tête, regarde la nuit s’abattre sur la ville… Une nuit aussi piteuse que le jour… Une nuit faite de néons et de lumières pales… Pas d’étoile dans le ciel de Birmingham… Juste cette lune blafarde qui semble se moquer de leur gueule du haut de son zenith. La lune et les lumières nues de la ville… Putain de firmament de merde… Putain d’horizon bouché…

Soudain, ils sont là… Tous les trois qui tournent au coin de la rue et lui adressent de petits signes auxquels il répond avant de faire demi-tour pour s’engouffrer dans le garage miteux qui leur sert de studio de répète…
A peine quoi ? Quinze petits mètres carrés ? Vingt au max ? Un sol de béton sale et des murs à l’avenant sous un toit aux tôles à moitié rouillées… Ouaip… Un lieu sans doute un peu sordide aux yeux du plus grand nombre… Un garage abandonné dans une rue abandonnée d’un quartier abandonné d’une ville abandonnée…
Quoique… Lorsqu’il y pensait… Ce local miteux… Peut-être que c’était ça leur paradis à eux… Ou en tout cas son anti- chambre… Un lieu hors du temps et de cette ville merdique…
Il attrape sa Gibson SG et met son Ampli en route… Les autres entrent dans le local.
Il leur sourit et plaque un accord… Son préféré… Avec sa Quarte Augmentée…
L’Accord du Diable… Diabolus es Musica… Rock It !