Bonjour
ami lecteur. L’abondant courrier que je reçois chaque jour de la part de
lecteurs assidus me fait certes chaud au cœur et m’encourage dans la poursuite
de mon inestimable entreprise, mais il est aussi source de quelques tracas.
Déjà,
il m’a valu l’inimitié du préposé en charge de mon quartier qui s’accommode
assez mal du surcroit de travail que je lui occasionne. L’individu est assez
déplaisant, il faut bien le dire, et a une certaine tendance au négativisme
puisqu’à tout prendre, il pourrait tout aussi bien reconnaitre que grâce à moi,
la bienveillante administration des Postes Hélvétiques lui a attribué un
magnifique 40 Tonnes rutilant en échange de son vieux solex à sacoches.
De
même, mes voisins, charmants au demeurant, n’ont pas manqué de me faire
remarquer que les abadies de plus en plus nombreuses qui s’en viennent
pèleriner et s’abalober devant mon domicile, ne sont pas sans troubler la
quiétude du lieu.
Mais
ces petites contrariétés ne sont rien au regard de l’affreux dilemme qui m’empare
chaque jour à l’heure de choisir auxquelles de ces innombrables missives je ne
pourrais pas répondre. Choix Cornélien, cruel arbitrage, pour l’homme de bonne
éducation que je suis. Mais le moyen de faire autrement ? Le moyen de ne
pas devoir sacrifier la plus élémentaire courtoisie sur l’autel du manque de
temps ? Et donc, à mon grand dam, je me dois de me faire violence et de ne
pas donner suite à certaines de ces missives.
Ah,
je peux te le dire à toi puisque j’ai pris l’habitude de te ne rien cacher,
mais être objet de culte n’est vraiment pas une sinécure, pour peu que, comme
moi, tu aies le soin de ne jamais vouloir abandonner les âmes dont tu as charge…
Ce qui ne m’empêche pas, par contre, de chercher moyen de m’acquitter de cette
lourde tache à moindre effort et moindre coût.
C’est
hier soir, alors que je me délectais d’un somptueux cognac, que la solution
m’est apparue. Tant tellement limpide et claire que je me serais botté le train
de n’y avoir pas pensé avant.
Plutôt
que de m’échiner à répondre individuellement à chacun, j’allais apporter à tous
une réponse collective et définitive par le truchement de mon petit espace.
Rendre la chose publique, en faire réclame, montrer mon Culte en quelque sorte.
Ainsi
pourrais-je dire aux nombreux et aux nombreuses qui m’écrivent pour me
solliciter des faveurs particulières que le cœur et autres parties inestimables
du Ytse ne sont pas à prendre, ni même à emprunter. Le Ytse est fidèle en tout
mais surtout en amour. Il est donc vain, quand bien même tiendriez-vous
d’Apollon ou de Venus, de m’adresser daguerréotypes et autres clichés
avantageux à des fins tentatrices. L’histoire de Culte qui vous et moi nous lie
est vouée à rester platonique.
Pareillement,
que les ceusses qui me font part de leur admiration éperdue pour mon style et
mon génie sachent que je leur en sais gré, ma légendaire modestie dusse-t-elle
en souffrir. Qu’ils sachent aussi qu’en retour, j’admire leur perspicacité qui
leur fait distinguer le bon grain de l’ivraie et le blog de qualité dans la
jungle de la toile et qu’en conséquence, ma considération envers eux est telle
que je préfère la déclamer ici en un panégyrique universel plutôt que dans
l’anonymat d’un échange épistolaire. Comme cela vous ne pourrez pas prétendre
que Ytse ne se bouge pas le Culte pour ses ouailles.
Enfin,
à ceux qui me supplient que je leur livre les secrets de mon talent, qui me demandent
conseil, ou même qui m’adressent leurs œuvres personnelles m’enjoignant de bien
vouloir les abluer, les abonnir, je pense qu’ils ne mesurent simplement pas la
complexité de la chose pour moi.
Tiens,
toi ami lecteur qui n’est pas plus con qu’un autre, s’il te fallait expliquer
comment tu respires, a un qui ne sait pas ce que c’est… Ou si tu devais décrire
n’importe quelle couleur à un aveugle de naissance… Cela te serait difficile
sinon insurmontable… N’est-ce pas ? Benh moi c’est pareil lorsqu’il s’agit
d’expliquer le processus littéraire qui me meut à l’heure d’écrire mes petits
papiers. Ce n’est point tant que je ne veuille pas le partager que le fait de
ne pas pouvoir le vulgariser suffisamment pour le mettre à la portée de tous.
Mais si cela peut te consoler, dis-toi qu’il est juste et bon que certaines
merveilles demeurent inexpliquées et que ce mystère participe aussi à la beauté
de la chose.
Tout
au plus puis-je t’inviter à lire régulièrement mes miscellanées et à y puiser
inspiration. Sers-toi, tout ici est à dispose et libre de droit et ce n’est pas
moi qui viendrait te chercher des poux dans la faconde au prétexte que tu
recyclerais quelques-unes de mes expressions ou de mes idées. D’ailleurs, il là
est le seul conseil que je puis te livrer : nourris ton éloquence de tes
lectures. Prends exemple. Inspire-toi de quelques maitres de bon aloi.
Approprie-toi leurs formules, digère-les, accommode-les à ta sauce… La
littérature est une vis sans fin qui recycle en permanence les écrits anciens
en des œuvres nouvelles, des livres qui parlent de livres qui parlent de livre
en de vertigineuses mises en abimes Borgessiennes.
Tel
est le secret de mon art au fond, ce qui fait mon succès : mon Culte est
assis sur le merveilleux héritage de ceux qui m’ont précédé.
Mais
pour être parfaitement complet dans cette entreprise, il me faut aussi évoquer
les ceusses qui prennent plume pour me cracher contre à propos de ceci que
j’aurais écris ou cela que je n’aurais pas relevé. Tous les fâcheux qui
souhaiteraient me donner des coups de pied dans le Culte au prétexte que je
professe des vérités qui les dérangent et que lesdites reçoivent moult échos
favorables parmi mon lectorat.
Des
contempteurs, j’en ai de toutes sortes et de toutes origines.
De
tristes néphalistes à l’humour en berne qui lisent tout au premier degré et me
tiennent rigueur du moindre trait d’esprit.
De
pauvres gavaches s’apeurant dès que j’élève la voix ou que j’ose dénoncer certaines
injustices et ceux qui les perpétuent ou les tolèrent.
Des
hypogonadiques envieux qui me rendent responsable de leur triste condition
d’éternels sous-fifres.
Des
savantasses qui s’en vont prospecter les recoins de ma prose les plus reculés à
la recherche de la moindre petite approximation, n’hésitant jamais a en
inventer lorsqu’ils n’en trouvent pas et qui déroulent ensuite toute une
théorie de raisonnements bancals à l’appui de leurs démonstrations.
Des
mirliflores pédants, troublés que j’ose prendre une autre route qu’eux et bien
décidés à me le faire payer.
Et
tant tellement d’autres catégories plus méprisables les unes que les autres.
Sans oublier les ceusses qui cumulent toutes ces tares en une seule et même
personne.
Qu’ils
sachent qu’aucun instrument contemporain ne saurait mesurer la hauteur de mon
indifférence pour leur piètre personne, que leur avis m’est aussi important que
ma première liquette, et qu’ils auraient tout aussi bien pu s’épargner la peine
de venir me le donner quand je n’avais rien fait pour les y inviter.
Parce
que soucieux de préserver notre belle planète, il me déplait fort que de
vénérables arbres centenaires aient dû être sacrifiés pour fournir le papier
sur lequel se sont épanchés ces cuistres. Heureusement que le cher Baron et son
Sergent Major sont passés par là, ce qui a au moins épargné à quelques
malheureux Anserinaes l’outrage de se voir effeuiller le prozib’ pour fournir
les plumes que ces sinistres auraient trempées dans leur fiel.
Ainsi,
ils savent à présent que leur ardeur est vaine, que leurs récriminations sont
autant d’encouragements à poursuivre la route que je me suis tracée et que
leurs basses manœuvres pour porter atteinte à mon crédit auprès de mes nombreux
admirateurs, sont vouées à un échec retentissant et dommageable pour leur
propre crédibilité. Ce n’est pas demain qu’ils verront l’arrêt de mon Culte, ne
leur en déplaise.
Voilà,
ami lecteur, tu as ici un condensé fulgurant de tout ce que j’aurais pu mettre
dans chacune des lettres en réponse à ceux qui m’en avaient eux-mêmes adressées.
Tu peux même y trouver, ô exploit, les réponses aux lettres que tu ne m’as pas
encore écrites et ainsi t’épargner cette peine. Tu peux surtout constater que
le Ytse reste fidèle à son crédo. Tout sur la table, rien dans les poches. La
vérité livrée belle et sans fard, exposée au su de tous. Mon Culte sur la
commode et la commode au milieu de la place publique.