mardi 5 novembre 2013

Mon Culte sur la Commode.


Bonjour ami lecteur. L’abondant courrier que je reçois chaque jour de la part de lecteurs assidus me fait certes chaud au cœur et m’encourage dans la poursuite de mon inestimable entreprise, mais il est aussi source de quelques tracas.

Déjà, il m’a valu l’inimitié du préposé en charge de mon quartier qui s’accommode assez mal du surcroit de travail que je lui occasionne. L’individu est assez déplaisant, il faut bien le dire, et a une certaine tendance au négativisme puisqu’à tout prendre, il pourrait tout aussi bien reconnaitre que grâce à moi, la bienveillante administration des Postes Hélvétiques lui a attribué un magnifique 40 Tonnes rutilant en échange de son vieux solex à sacoches.
De même, mes voisins, charmants au demeurant, n’ont pas manqué de me faire remarquer que les abadies de plus en plus nombreuses qui s’en viennent pèleriner et s’abalober devant mon domicile, ne sont pas sans troubler la quiétude du lieu.
Mais ces petites contrariétés ne sont rien au regard de l’affreux dilemme qui m’empare chaque jour à l’heure de choisir auxquelles de ces innombrables missives je ne pourrais pas répondre. Choix Cornélien, cruel arbitrage, pour l’homme de bonne éducation que je suis. Mais le moyen de faire autrement ? Le moyen de ne pas devoir sacrifier la plus élémentaire courtoisie sur l’autel du manque de temps ? Et donc, à mon grand dam, je me dois de me faire violence et de ne pas donner suite à certaines de ces missives.
Ah, je peux te le dire à toi puisque j’ai pris l’habitude de te ne rien cacher, mais être objet de culte n’est vraiment pas une sinécure, pour peu que, comme moi, tu aies le soin de ne jamais vouloir abandonner les âmes dont tu as charge… Ce qui ne m’empêche pas, par contre, de chercher moyen de m’acquitter de cette lourde tache à moindre effort et moindre coût.

C’est hier soir, alors que je me délectais d’un somptueux cognac, que la solution m’est apparue. Tant tellement limpide et claire que je me serais botté le train de n’y avoir pas pensé avant.
Plutôt que de m’échiner à répondre individuellement à chacun, j’allais apporter à tous une réponse collective et définitive par le truchement de mon petit espace. Rendre la chose publique, en faire réclame, montrer mon Culte en quelque sorte.
Ainsi pourrais-je dire aux nombreux et aux nombreuses qui m’écrivent pour me solliciter des faveurs particulières que le cœur et autres parties inestimables du Ytse ne sont pas à prendre, ni même à emprunter. Le Ytse est fidèle en tout mais surtout en amour. Il est donc vain, quand bien même tiendriez-vous d’Apollon ou de Venus, de m’adresser daguerréotypes et autres clichés avantageux à des fins tentatrices. L’histoire de Culte qui vous et moi nous lie est vouée à rester platonique.
Pareillement, que les ceusses qui me font part de leur admiration éperdue pour mon style et mon génie sachent que je leur en sais gré, ma légendaire modestie dusse-t-elle en souffrir. Qu’ils sachent aussi qu’en retour, j’admire leur perspicacité qui leur fait distinguer le bon grain de l’ivraie et le blog de qualité dans la jungle de la toile et qu’en conséquence, ma considération envers eux est telle que je préfère la déclamer ici en un panégyrique universel plutôt que dans l’anonymat d’un échange épistolaire. Comme cela vous ne pourrez pas prétendre que Ytse ne se bouge pas le Culte pour ses ouailles.
Enfin, à ceux qui me supplient que je leur livre les secrets de mon talent, qui me demandent conseil, ou même qui m’adressent leurs œuvres personnelles m’enjoignant de bien vouloir les abluer, les abonnir, je pense qu’ils ne mesurent simplement pas la complexité de la chose pour moi.
Tiens, toi ami lecteur qui n’est pas plus con qu’un autre, s’il te fallait expliquer comment tu respires, a un qui ne sait pas ce que c’est… Ou si tu devais décrire n’importe quelle couleur à un aveugle de naissance… Cela te serait difficile sinon insurmontable… N’est-ce pas ? Benh moi c’est pareil lorsqu’il s’agit d’expliquer le processus littéraire qui me meut à l’heure d’écrire mes petits papiers. Ce n’est point tant que je ne veuille pas le partager que le fait de ne pas pouvoir le vulgariser suffisamment pour le mettre à la portée de tous. Mais si cela peut te consoler, dis-toi qu’il est juste et bon que certaines merveilles demeurent inexpliquées et que ce mystère participe aussi à la beauté de la chose.
Tout au plus puis-je t’inviter à lire régulièrement mes miscellanées et à y puiser inspiration. Sers-toi, tout ici est à dispose et libre de droit et ce n’est pas moi qui viendrait te chercher des poux dans la faconde au prétexte que tu recyclerais quelques-unes de mes expressions ou de mes idées. D’ailleurs, il là est le seul conseil que je puis te livrer : nourris ton éloquence de tes lectures. Prends exemple. Inspire-toi de quelques maitres de bon aloi. Approprie-toi leurs formules, digère-les, accommode-les à ta sauce… La littérature est une vis sans fin qui recycle en permanence les écrits anciens en des œuvres nouvelles, des livres qui parlent de livres qui parlent de livre en de vertigineuses mises en abimes Borgessiennes.
Tel est le secret de mon art au fond, ce qui fait mon succès : mon Culte est assis sur le merveilleux héritage de ceux qui m’ont précédé.

Mais pour être parfaitement complet dans cette entreprise, il me faut aussi évoquer les ceusses qui prennent plume pour me cracher contre à propos de ceci que j’aurais écris ou cela que je n’aurais pas relevé. Tous les fâcheux qui souhaiteraient me donner des coups de pied dans le Culte au prétexte que je professe des vérités qui les dérangent et que lesdites reçoivent moult échos favorables parmi mon lectorat.
Des contempteurs, j’en ai de toutes sortes et de toutes origines.
De tristes néphalistes à l’humour en berne qui lisent tout au premier degré et me tiennent rigueur du moindre trait d’esprit.
De pauvres gavaches s’apeurant dès que j’élève la voix ou que j’ose dénoncer certaines injustices et ceux qui les perpétuent ou les tolèrent.
Des hypogonadiques envieux qui me rendent responsable de leur triste condition d’éternels sous-fifres.
Des savantasses qui s’en vont prospecter les recoins de ma prose les plus reculés à la recherche de la moindre petite approximation, n’hésitant jamais a en inventer lorsqu’ils n’en trouvent pas et qui déroulent ensuite toute une théorie de raisonnements bancals à l’appui de leurs démonstrations.
Des mirliflores pédants, troublés que j’ose prendre une autre route qu’eux et bien décidés à me le faire payer.
Et tant tellement d’autres catégories plus méprisables les unes que les autres. Sans oublier les ceusses qui cumulent toutes ces tares en une seule et même personne.
Qu’ils sachent qu’aucun instrument contemporain ne saurait mesurer la hauteur de mon indifférence pour leur piètre personne, que leur avis m’est aussi important que ma première liquette, et qu’ils auraient tout aussi bien pu s’épargner la peine de venir me le donner quand je n’avais rien fait pour les y inviter.
Parce que soucieux de préserver notre belle planète, il me déplait fort que de vénérables arbres centenaires aient dû être sacrifiés pour fournir le papier sur lequel se sont épanchés ces cuistres. Heureusement que le cher Baron et son Sergent Major sont passés par là, ce qui a au moins épargné à quelques malheureux Anserinaes l’outrage de se voir effeuiller le prozib’ pour fournir les plumes que ces sinistres auraient trempées dans leur fiel.
Ainsi, ils savent à présent que leur ardeur est vaine, que leurs récriminations sont autant d’encouragements à poursuivre la route que je me suis tracée et que leurs basses manœuvres pour porter atteinte à mon crédit auprès de mes nombreux admirateurs, sont vouées à un échec retentissant et dommageable pour leur propre crédibilité. Ce n’est pas demain qu’ils verront l’arrêt de mon Culte, ne leur en déplaise.

Voilà, ami lecteur, tu as ici un condensé fulgurant de tout ce que j’aurais pu mettre dans chacune des lettres en réponse à ceux qui m’en avaient eux-mêmes adressées. Tu peux même y trouver, ô exploit, les réponses aux lettres que tu ne m’as pas encore écrites et ainsi t’épargner cette peine. Tu peux surtout constater que le Ytse reste fidèle à son crédo. Tout sur la table, rien dans les poches. La vérité livrée belle et sans fard, exposée au su de tous. Mon Culte sur la commode et la commode au milieu de la place publique.