mardi 12 novembre 2013

Les Morues se Dessalent.


Bonjour ami lecteur. Il y a des jours et des lunes que je ne t’ai pas pris par la main pour, en quelques coups de ma plume alerte, t’emmener vers des ailleurs lointains. Longtemps que nous n’avons pas voyagé de conserve jusqu’à l’un de ces lieux magiques où j’aime à t’emmener pour te sortir un temps de ta quotidienne grisaille. Alors, viens, je t’emmène…

Je t’emmène là où chaque soir les Hellènes regardaient les chevaux du Soleil s’abimer dans l’océan. Là où s’achève notre veille Europe continentale… Un estuaire dans un Finistère encore plus jusqu’au-boutiste que l’autre… Une baie agréable…
Un lieu particulier qui fut longtemps le bout du monde… Un doigt tendu vers le ponant… Une invitation au voyage et à la découverte de nouveaux continents… Ô combien de marins, combiens de Capitaines répondirent à cet appel prégnant et s’en furent cap à l’ouest vers les terres inconnues ?
Ne sens-tu pas encore leur présence alors que tu arques sur cette promenade en bordure d’Océan ? Non ? Fais un effort que diable ! Imagine ! Rêve !
Rêve à ses fières nefs en partances vers les confins, toutes voiles carguées, fendant l’écume… Non ? Toujours pas ?
Bon. Alors regarde. Regarde un peu se monument élancé, Henrique et les autres qui poussent derrière… Toutes ces hautes figures qui partirent un jour à l’aventure, courir les Océans jusqu’aux Indes lointaines… De terres en terres, de ports en ports…
Comment ? Tu t’en tapes ?
D’accord, on continue alors… Mais avant de partir pour la citée que je souhaite te faire visiter, prenons le temps de quelques agapes…
Traversons la rue, entrons dans ce noble établissement bien à l’abri de ses stores bleus et là, dégustons cette petite pâtisserie locale qui fait la gloire du lieu. Délicieux n’est-il pas ?

Allez, il est plus que temps de poursuivre notre visite, un dernier regard vers l’estuaire avant de t’inviter à porter tes yeux vers la citée… Cette ville bleue accrochée à ses collines…
Le bleu de ses Azuléjos décorant encore quelques-unes de ses façades, de ses églises, de ses fontaines… C’est beau Non ? Allons voir de plus près.
Tu fais quoi là ? Tu veux héler un Taxi ? Non mais ça va pas. Une ville se visite pédestrement pour qui veut en comprendre la substantifique moelle… Pas acagnardé sur la banquette d’une voiture. Au pas fainéant ! En route !
Nous voici dans le Chiado, le quartier des Poètes… Là ou vécu naguère celui qui a jeté son froc aux orties pour devenir une espèce de vivante incarnation de la verve et de la joie de vivre de l’époque et finir dans la peau du poète le plus aimé du peuple. Mais si tu veux en savoir plus sur lui, allons le demander à cet autre illustre poète, celui que tu vois là, assis à la terrasse de ce café au nom si exotique. Lui, C’est Nando, pour les intimes. Un homme à part. Un grand Monsieur. Mort depuis longtemps déjà mais ô combien moderne, lui dont les nombreux hétéronymes n’auraient pas dépareillés sur un certain blog voisin. Lui unique et en même temps multiple. Asseyons-nous un instant avec lui et laissons-le nous compter son intranquillité, écoutons-le nous inviter à écouter passer le vent… Paisible ataraxie à laquelle on ne peut bien gouter qu’ici… Rien que pour cela, ça vaut la peine d’être né.
Tu dis ? Tu ne comprends rien à ce qu’il raconte… T’inquiète, t’es pas le seul, beaucoup d’autres avant toi ne l’ont pas plus compris…
Tiens, pour te changer les idées, regarde un peu par-dessus ma large épaule, tu vois cette autre statue… Un autre poète, l’héritier des Omères, le conteur d’épopée, l’auteur des Lusiades. Mais assez des tourneurs de rimes… Poursuivons notre chemin. Gagnons le Baixa, le cœur de la ville.

Ça tombe bien… On est le 12 juin… La nuit de Santo António… Quoi ? Tu dis ? On n’est pas le 12 juin ? Et alors ? T’es pas vraiment à Lisbonne non plus… Fait un effort que diable. Imagine ! Ou alors patiente jusqu’au prochain 12 juin pour lire ce merveilleux billet.
Saint Antoine disais-je… Tu te doutes que cela parle à mon âme littéraire, que ça m’évoques des choses et encore plus de machins… Mais bon, ici ça sent surtout la sardine grillées… Et c’est bien.
Des jours et des nuits de fête dans la douceur du printemps qui se meut en un doux été… Les odeurs donc, et l’éclat de mille rires et chants, et le chatoiement des couleurs de ces guirlandes de fleurs qui tombent des balcons. Allez, viens danser sur un air de Pimba, boire un verre de ce Vinho Verde qui nous vient du Minho à la santé de tous les tristes Abstèmes qui ne savent pas ce qu’ils perdent…
Allez… Maintenant suis-moi jusqu’au Castelo… Tu dis ? Ça monte ? Benh oui mon con… Mais ça en vaut la peine. Tiens, si t’es sage, ce soir je t’invite au Palacio Belmonte… Non, ne rêve pas… On prendra deux chambres… Mais je suis certain que tu vas adorer ce lieu magique et un peu hors du temps… Et si nous sommes en veine, alors peut-être qu’on verra le proprio attablé devant son café et son journal, on se joindra à lui, on fumera un cigare et on pourra causer. Tu verras, c’est un personnage.
Voilà, nous sommes arrivés… Regarde la ville palpiter à tes pieds, vois comme elle est belle dans ce crépuscule, quand les lumières descendent sur la ville et que le soleil resplendit sur la baie.
Allez, il est temps… T’as encore un peu de forces… Oui… C’est bien. La nuit est à nous. Direction l’Alfama.

Nous y voilà, le vieux quartier, les mille sources de la mémoire de la citée… Descendons d’abord jusqu’à la Sé, l’austère cathédrale puis perdons-nous dans le dédale de ces venelles étroites… Entends-tu les clochettes des tramways tintinnabuler ?
Allez, descendons… Vois comme les rues s’animent… Vois comme les gens se pressent vers ses estaminets d’où s’échappent de douces mélopées. Le Fado. L’âme du peuple Portugais.
Allez viens, entrons dans ce bar, asseyons-nous à cette longue table au milieu des habitués. Et laissons-nous porter par les voix qui s’élèvent dans la moiteur du soir. Ecoute-les chanter la Saudade, cette mélancolie particulière, une nostalgie prégnante comme une plaie ouverte, qui ajoute à la douleur de la perte d’un passé éteint et à la morsure du souvenir des amours mortes, l’impossibilité du deuil et la cruauté de l’espoir de les revoir un jour. Le Fado est, à l’instar du blues, avant tout le chant d’une douleur.
Et moi qui cultive ma mélancolie, qui en fait un sentiment positif en ce qu’elle porte en elle la certitude d’avoir au moins vécu une vie agréable, je reste là, bercé par les larmes des Sistres et de la Viole, et je pleure avec eux.

Mais il est tard à présent. Il est l’heure de rentrer. Je sais que l’on a encore vue que l’écume des beautés de cette ville, alors tu sais quoi. Vas-y si ce n’est déjà fait ou retournes-y si tu y es déjà venu… Moi, je la redécouvre à chaque voyage qui m’y mène. Et je l’aime chaque fois un peu plus.