Bon, benh
voilà, cette fois ça y’est. C’est vraiment la rentrée… Celle que je t’annonçais
déjà la semaine passée tant tellement je reste en avance sur mon temps et
toujours à la pointe.
Oh, j’en
vois et non des moindres qui maugréent dans leur coin en ressassant comme
quoi, Eux, ça fait maintenant un bail qu’ils ont retrouvé le chemin du turbin.
Mais que veux-tu Lulu, la seule rentrée qui compte, celle qui fait causer les
journaleux, c’est celle de nos chères têtes blondes comme on dit puis, y compris
dans les écoles de banlieue où la mode serait plutôt au Brun Frisoté si j’en
crois ce que disent les chantres du remake des invasions barbares qui… Mais
bref…
La
rentrée des classes ! Tu t’en souviens Lucien ? Quand nous portions
encore des culotes courtes et du mercurochrome sur nos genoux écorchés ?
Attention, je te parle de la Vraie, rentrée des classes… Celle de quand on
était matru… Celle de nos 10 ans par exemple… Celle qui nous voyait prendre encore
le chemin bucolique de l’Ecole Communale dans les frimas du petit matin quand
le soleil irisait d’or les blés qui dansaient dans la brise matinale…
Quoi ?
Tu dis ? T’habitais en Ville ? Et alors ? Moi aussi si tu veux
tout savoir mais ce n’est pas une raison… Imagine. Rêve un peu… Si tu en es
capables… Oublie un instant que les tours environnantes auraient sans doute
caché le soleil qui n’était de toutes façons qu’un halo blafard derrière les
volutes de particules nocives qu’exhalaient les pots d’échappement des
véhicules venus en cohorte larguer les mômes devant l’Ecole… Tout devant
d’ailleurs… Dans la cours même… Voire jusque dans la Salle de Classe qu’elles
iraient déposer leur progéniture si elles le pouvaient…et sans sortir de la
bagnole si possible… Pas risquer de ruiner leur permanent par la faute de cette
brise que je te disais plus haut…
Parce que
ce sont souvent les Elles qui emmènent les marmots à l’Ecole pendant que les
Ils font semblant d’être pressés d’aller pointer tant tellement ils sont
indispensables au bon fonctionnement de leur boite et que tu comprends chérie
mais j’ai réunion à huit heure avec la machine à café et… Mais c’est une autre
histoire…
Alors
bon, l’Urbanisation galopante étant ce qu’elle est, il y a effectivement de
fortes chances pour que tu ais été un citadin… D’ailleurs, eusses-tu été
vraiment de la campagne que tu n’aurais pas manqué de me faire remarquer que,
au mois de septembre, les blés ne risquent pas de danser dans la brise ni la
bise, ni aucun autre vent qu’il fût
marauds ou bien fripon… Etant entendu que lesdits blés sont depuis longtemps en
gerbe quand sonne l’heure de reprendre les cours…
Mais qu’importe
si le chemin qui nous menait à l’école sentait plus le gazoil que l’herbe
fraiche… D’ailleurs entre nous, la Campagne c’est un peu surfait… Hein ?
Entre nous ? Et je ne te parle même pas de toutes ces adventices
allergènes qui te font un enfer pour peu que t’y sois un peu sensible comme un
certain ami que je connaissais, parti depuis sans laisser d’adresse…Le Bougre… Fatale
Ambroisie…
M’enfin,
qu’importe le chemin, l’excitation était la même qui nous faisait presser le
pas vers ce grand portail pas encore ouvert… Et on se dépêchait d’autant plus
que… N’était-ce pas David et Yohann qui me faisaient de grands signes pour me
saluer… Et j’avais tellement de choses à leur raconter sur ces deux mois d’été…
Deux
mois… Deux mois qui en paraissaient dix à cette époque bénie de mes dix ans où
le temps était ce long fleuve tranquille au cour indolent et non pas le torrent
impétueux au débit de plus en plus rapide à mesure que l’âge avance…
Et
l’année scolaire qui s’annonçait me semblait devoir durer toujours…
Cela
faisait d’ailleurs une semaine que je m’y préparais… Que l’ON m’y préparait
devrais-je plutôt écrire… Parce qu’à l’époque déjà les médias tiraient à la
ligne sur le sujet… Sans doute pas autant que maintenant, mais quand même… Sans
parler des Grandes Surfaces et autres lieux de grande consommation qui, depuis
un bon mois déjà, présentaient toute une théorie de cahiers, agendas, stylos à
nos yeux ébahis…
Tout
était déjà bon pour nous faire raquer… Mais on s’en foutait un peu vu que
c’était les parents qui allongeaient… Parce que entre les desiderata des
Instits et les techniques de marketings avancées des fabricants… Y’avait de
quoi faire…
Tout
commençait par la liste, ou plutôt La Liste, avec les majuscules qui vont bien
pour bien te montrer à quel point elle était tout, la sacro-sainte liste… Là,
l’Instituteur détaillait tout ce dont tu aurais besoin pour suivre une
scolarité normale ou tout au moins selon la conception qu’il en avait… Perso,
j’ai toujours trouvé que cette liste illustrait la personnalité de son auteur…
Elle me donnait alors un avant-goût de ce qui m’attendait…
Que le
Maitre se soit contenté de préciser qu’il me faudrait 5 cahiers, 2 pochettes de
feuilles à dessins, un compas… sans plus de fioritures ni autres précisions
péremptoires, et je pouvais espérer une année plutôt guillerette, le plaisir
d’apprendre tout en jouissant de quelques libertés…
Qu’au
contraire il me somme d’avoir 1 Cahier Grand Format de couleur Verte à Grands
Carreaux et simple Marge, 1 Cahier Moyen Format Bleu ou Rouge à Petits
Carreaux, 2 Pochettes de papiers canson, une de 80gr et l’autre de 120gr, 3
crayons HB, cinq stylos (2 bleus, 1 rouge, 1 noir, 1 vert)…etc… Et je n’avais
plus qu’à me préparer à une année d’enfer avec un psychopathe qui ne me
laisserait pas passer la moindre fantaisie et encore moins celle que je mettais
parfois dans mon orthographe…
La Liste
donc… Celle que je tenais à la main en marchant derrière le charriot que
poussait ma mère dans les allées du Casing’. Là, fallait la jouer fine… Etre un
bon stratège… Lâcher sur les cahiers et les stabilos, pour pouvoir négocier le
sac à dos en toile GI et l’Agenda siglé AC/DC… Manque de bol, même si le bon
rock graisseux avait le vent en poupe à cette époque bénite d’avant la Daube
FM, il n’était pas encore arrivé aux oreilles des pontes de Clairefontaine et
consort. J’ai dû me contenter d’un Agenda Harley Davidson… Mais c’était déjà
pas mal et comme j’avais déjà pu me faire payer un Tee-Shirt Iron Maiden sur un
marché pendant les vacances…
En
parlant de Tee-Shirt… La tenue de la rentrée ! Ça aussi, c’était toute une
histoire… Parce qu’il fallait du neuf, bien entendu… Déjà, j’avais grandi
pendant les vacances… et puis bon… Faire sa rentrée avec les mêmes fringues que
l’année d’avant… Plutôt mourir…
Là aussi,
il pouvait y avoir comme un léger décalage entre les goûts maternels et les
miens. Faut dire que toutes les mères ont quand même bien tendance à ne pas
vouloir nous voir grandir et à nous envisager en bermuda-salopette, chemise
blanche et socquettes jusqu’à des âges avancés…
Mais pas
de ça lisette… Ok, j’acceptais, un rien contraint, d’oublier le tee-shirt sans
manches et le pantalon moule-burnes… Mais, je ne lâchais pas sur le jean et les
baskets… Et le blouson… Bon… Le cuir, fallait pas rêver… Et puis un Cuir… Quand
tu n’as pas de moto… Bref… Mais je réussissais toujours à récupérer un truc un
peu moins dans la norme… Comme cette veste de grosse toile verte un rien
militaire, que j’avais harmonieusement décorée de Patches et autres
inscriptions cryptiques, dont celle appelant pour le trépas de certains bovidés
à képi, que j’avais eu quand même la présence d’esprit d’inscrire en caractères
suffisamment petits pour ne pas encourir l’ire paternel…
Et ainsi,
les fournitures acquises et la garde-robe dument renouvelée, je me sentais prêt…
Prêt à sauter du lit dès que le réveil aurait entonné son chant matinal… Prêt à
reprendre le chemin de l’Ecole pour une nouvelle année… Une qui coulerait comme
de l’eau jusqu’au prochain été… Un été qui serait le dernier avant l’entrée au
collège… Le dernier de la vraie enfance qui s’enfuit déjà… Et ce putain de
temps qui n’en finit plus de couler dans le grand sablier… De plus en plus
vite…