Bonjour ami lecteur,
Bon ok, un simple bonjour, même déclamé avec une
conviction sincère, peut sans doute te paraitre un peu court depuis le temps
qu’on ne s’est pas croisés les deux, mais que veux-tu, j’ai z’été fort occupé
ces temps derniers.
Pour tout te dire et ne rien te cacher, comme je
te l’annonçais d’ailleurs dans mon précèdent billet, ta mémoire de bulot en ayant
j’espère gardé le souvenir (sinon, tu cliques sur le lien ad-hoc pas plus loin
qu’à coté et tu relis ledit), j’avais entrepris de retrouver mon divin pote qui
ne m’avait plus honoré de sa visite depuis lulure. Pas que je me faisais du
souci pour lui et sa santé étant entendu qu’en tant qu’entité divine une et
indivisible il jouit d’une éternelle immortalité, si je puis oser cette
tournure un rien pléonastique, mais j’avais deux ou trois trucs à lui dire.
Moi, tu me connais ? Je ne suis pas du genre
à aller chercher des poux dans la divine tonsure de l’aminche dont j’te cause
mais j’avais quand même comme une petite récrimination dont je tenais à lui
faire part. Bref, il fallait que j’le vois.
Alors j’ai commencé par refaire mes réserves de
breuvages savamment distillés dans les hautes terres Ecossaises auxquels j’ai
judicieusement adjoint quelques autres venus du Pays du Soleil Levant qui, de
plus en plus mieux, s’applique à nous fournir quelques liquides des plus
délicats. J’ai fait t’ensuite un petit tour entre Saône et Rhône pour acquérir
quelques bonnes boutanches de petit bleu et une escale à La Havane où mon ami
Raùl m’avait mis quelques bonnes boites de cigares de côté avec deux ou trois
dame-jeanne de Rhum de bon aloi. Bref, je me suis tenu prêt, des fois que mon
ami divin se pointerait, hein, savoir ?
Mais il n’est pas venu (manque de bol).
Alors, sachant qu’il aimait à y trainer ses
sandales, j’ai entrepris la tournée des établissements quintastellaires,
toujours à la recherche de mon ami et, après moult étapes et péripéties dont je
vais t’épargner une trop longue énumération, qu’après tu me reprocheras de
n’être point concis assez, alors que je me voyais tout prêt à renoncer et à
regagner ma paisible campagne vaudoise, il advint que je poussasse la porte des
Fermes de Marie, petit établissement
sans prétention sis à Megève, parce qu’un mien ami (pas le Divin, un autre) m’avait
indiqué avoir vaguement le souvenir d’un type pouvant correspondre à la
description de l’objet de ma quête. D’après cet ami (toujours l’autre pas le
Divin), aux mois de Novembre dernier (2017 donc pour les ceusses qui me
liraient dans les siècles à venir), aux environs du 14 dudit mois, sur les
choses de 22h30, mon ami, l’autre, était tranquille, était peinard, accoudé au
comptoir quand le type en question serait entré dans le bar pour commander… Un
quadruple Ardbeg… La description qu’il (toujours l’autre je précise bien pour
être certain que tu suives) me fit du gazier en question : grand, de haute
tenue, avec une longue barbe blanche et un costard trois-pièces blanc sur des
sandales de cuirs ; me laissa t’à penser que l’individu pouvait bien être
celui que je recherchais.
Et c’est ainsi que je vins moi-même m’accouder au
comptoir, chaque soir que le Divin Ami que je te cause faisait, dans l’espoir
de l’y croiser tantôt. Trois semaines passèrent, et, hier au soir, alors que je
me désespérais de parvenir à mes fins et que je m’acheminais lentement mais
surement vers le bout du bout de la carte, pourtant fort riche, des spiritueux
du lieu, arriva le soir où, comme je finissais mon septante-septième verre de
Bas-Armagnac 1970 (excellente année comme tu le sais), une voix reconnaissable
entre mille résonna sur les boiseries de l’établissement pour clamer non
sans un certain à-propos :
-
Par
ma sainte barbe, ne serait-ce pas le gars Ytse qui se pique la ruche en loucedé
sans payer sa tournée aux potos ?
Moi, tu me connais ? J’ai pas besoin qu’on me
fasse de dessins pour piger les allusions même les plus voilées. Je fis donc un
signe aussi impérieux que discret au brave loufiat qui usinait derrière le bar,
lui indiquant d’un simple geste qu’il comblerait mes attentes du moment ainsi
que celles de mon compagnon, en nous servant une petite pinte du Bas-Armagnac
cité plus haut. Ce qu’il fit avec toute la promptitude et la diligence qu’on
peut attendre des employés de ces établissements sérieux.
Entre temps mon Divin pote s’était juché sur le
tabouret voisin du mien non sans avoir adressé au passage une œillade qui en
disait long tout en en promettant beaucoup plus à l’accorte demoiselle qui se
tenait un peu plus loin, élégamment vautrée dans un des confortables fauteuils
de vieux cuir qui meublent agréablement le lieu. Le compagnon de la jeune
personne, un vieux birbe plutôt décati pour son âge, sembla prendre un peu
ombrage de l’attention que mon ami avait ostensiblement démontrée à sa
donzelle, mais, soit qu’il fut impressionné par la stature divine de mon pote
ou par la largeur de mes robustes épaules, il n’osa pas faire de remarque et se
replongea illico dans sa camomille. Ce que profitant de que, la demoiselle
formula en silence et du bout des lèvres ce qui ne pouvait être que le numéro
de sa chambre et, partant de là, une invitation à l’y rejoindre tantôt. Je ne
sais pas si elle adressait ladite proposition à mon ami ou à moi, voire aux
deux, mais, moi tu me connais ? Fidèle en amour comme en amitié. Pas de ça
Lisette (la petite avait une tête à s’appeler Lisette)… J’laisserai bien
volontiers la place à mon pote.
-
Alors
mon Ytse. Ça fait une paye que j’t’ai pas vu trainer dans les bars. J’te
pensais en cabane, ou à l’armée, ou à l’usine… Bref, j’te croyais rangé des
bécanes même si j’sais qu’tu chevauches souvent ta Harley… M’dis pas qu’c’est
par hasard que tu te tiens là ?
Je fus un instant tenté de prétendre que si, si,
le hasard pur et total ceci, coïncidence cela, les grands esprits qui se tu
sais quoi. Mais d’une part je ne mens jamais (comme tu le sais très bien depuis
le temps que l’on se fréquente), mais en plus, avec Lui… Hein… Le mec
omniscient par excellence… Comment voudrais-tu que ?
-
Et
bien, commencais-je d’une voix mal assurée, il se trouve que je souhaitais vous
voir pour vous faire part d’une petite remarque comme ça, en passant. Trois
fois rien… Juste un truc qui me turlupine…
Percevant, non sans un certain amusement, mon embarras,
il eut la gentillesse de prendre les devants :
-
Oh,
je sais bien de quoi tu veux me parler va. Dit-il avec un grand sourire
engageant.
-
Alors ?
M’enhardis-je souhaitant une réponse à la question qu’il semblait m’avoir
dispensé de formuler.
Il haussa les sourcils, prenant l’air docte qu’il
aime à se donner parfois.
-
Alors,
mon bon Ytse, et même si je connais d’avance la question, il me siérait que tu
me la posasses.
Un poil, irrité par sa volonté affichée de se
payer ma fiole, je fus à deux doigts de lui faire une réflexion narquoise sur
les approximations grammaticales de sa dernière phrase, mais, connaissant sa
susceptibilité, je pris le parti d’en rester à l’objet initiale de la requête
que j’avais à lui formuler.
D’autant plus que, depuis que je le cherchais,
j’avais eu plus que le temps de construire mon argumentation, préparer ma
stratégie, peaufiner mon discours… C’est donc d’une voix pleine d’autant
d’assurance que je pouvais en rassembler malgré ma légendaire modestie, que
j’enchainais :
-
Et
bien, je me demandais simplement si vous pouviez considérer que, quoi que nous
ayons pu faire de fâcheux, nous étions bien assez punis comme ça et cesser de
vouloir nous priver de tous ces bons amis que vous rappelez à vous plutôt
inconsidérément si je puis me permettre.
-
Oui,
mais enfin mon bon Ytse, tu n’es pas sans savoir que votre passage sur terre
est censé n’être qu’éphémère et que toutes les bonnes choses ayant une fin...
Je m’étais attendu à cet argument un rien
fallacieux aussi rétorquais-je judicieusement :
-
Non,
mais bien évidemment, aussi ne viens-je pas vous récriminer contre pour l’ami
Jean d’O’ par exemple, que lui on a pu en profiter en plein avant que vous ne
vous l’accapariez… Nanh, mais par exemple, mon pote Chris Cornell,
cinquante-deux piges ici-bas et puis s’en va… C’est un peu court… J’trouve.
Il haussa les épaules :
-
Un
peu court, un peu court… Tout est relatif mon bon Ytse. J’veux dire, tu ne
nieras point que le gars Chris a fait plus en cinquante-deux ans que d’autres
en Nonante et des. Non ? Donc, un peu court… Tu me permettras de ne pas
être forcément d’accord… Ce qui est un peu court, par contre, c’est le volume
de ce délicieux breuvage que ce grigou de serveur nous a consenti. T’as qu’à
voir mon verre qui se trouve présentement particulièrement vide.
Je fis signe au barman de nous en remettre une
tout en rebondissant sur les derniers propos de mon camarade :
-
Non
mais justement… Si vous étiez un tant soit peu magnanime, vous consentiriez un
temps de passage ici-bas proportionnel à la contribution des uns et des autres…
Genre mon grand ami Lemmy… Septante années de son auguste présence à nos côtés…
C’est du foutage de gueule. J’me permets de vous l’affirmer haut et fort. Du
foutage de gueule.
Il vida d’un trait son deuxième verre avant de le
tendre au loufiat pour qu’il le remplisse à nouveau :
-
Ouaip.
Bon. Pour le Lem’. J’avoue. Je m’suis un peu précipité. Mais tu vois, ça f’sait
un bail que le fiston me demandait que le Lemmy puisse passer un peu plus de
temps avec nous dans notre p’tit coin d’paradis. Alors pour l’anniversaire du
fiston comme j’avais pas trop d’idée de cadeau, benh voilà quoi. J’ai rappelé
le Lemmy à moi.
-
Tu
parles Charles… et pour en plus nous prendre l’ami David juste après.
-
Ah
benh ça, c’est le Lem’ lui-même qui m’a demandé ça comme une faveur vu qu’il
était fan du bonhomme et attendait cette occasion pour taper le bœuf avec lui.
Je soupirais :
-
Ah
benh si en plus vous accédez aux requêtes des uns et des autres, ça va se
dépeupler sévère ici. Il va nous rester qui ? Hein ? A ce
rythme ? Surtout que ça se renouvelle doucement… Si j’puis me permettre
sans vouloir avoir l’air de rouscailler de trop. En tous cas j’ai l’impression
qu’il y a comme un léger déficit entre les talents qui canent et ceux qui
naissent.
-
Bah
c’est possible mon bon Ytse. Mais j’y peux quoi, moi, si z’etes de plus en plus
cons ? hein ? Tu peux me le dire ?
J’avouais que certes tout en ajoutant que ce
n’était pas une raison.
-
Bon.
Ok. Mon ami Ytse. J’peux voir à voir à ralentir un peu, mais, pour tout te
dire… Le fiston, moi et les autres, on se fait un peu tartir dans nos cieux
éthérés. D’ailleurs, avec l’arrivée du Lemmy… Benh les 10,000 vierges des
autres siphonnés, hop… Finito… Y’en a plus une à c’t’heure que je te cause. Une
attraction de moins. Alors faut qu’on compense…
-
Mouais…
Mais si vous pouviez compenser différemment… J’sais pas moi… Un Trump par
exemple… Avec le nombres de conneries qu’il débite. Il a un côté marrant… N’est-ce
pas ? Il peut animer deux ou trois soirées… Non ?
Il secoua la tête :
-
Deux
ou trois soirée… Nanh mais mon pauvre Ytse. Tu réalises combien de soirées j’ai
devant moi… Une putain d’infinité mon brave… L’éternité… Alors tu m’excuseras
d’avoir préféré recruter l’ami Jacky H.
Je ne pus retenir ma colère :
-
Ouaip,
benh faudrait pas trop remuer le couteau dans la plaie non plus. Parce que
l’ami Higelin, là aussi, j’suis désolé, mais c’était beaucoup trop tôt. Et en
plus ça a fait de la peine à mon grand ami La Tric’… Que rien que pour ça, je
vous en veux un peu.
-
Ouais…
Bon… Benh voilà quoi… Si tu veux j’vous renvois Johnny… Ahaha…
Je dus faire une tête pas possible car il enchaina
bien vite :
-
Ceci
dit, mon bon Ytse, si le cœur t’en dit tant que ça, tu peux toi aussi nous
rejoindre… Après tout, j’en sais qui t’attendent avec impatience… Et puis tu
vois… Par moment… J’me dis que ta présence parmi les autres cons… Elle a comme
un air de Lard aux Cochons… Si tu vois ce que j’veux dire…
Il me fallut quelques secondes pour comprendre
tous les tenants et aboutissants de la proposition qu’il venait de me lâcher
avec un air d’en avoir deux qui ne me disait rien qui vaille…
-
Nanh
mais rien ne presse… Hein. Enchaina-t’il. Prends le temps d’y réfléchir…
J’avoue que l’offre n’était pas dénuée d’un
certain attrait… J’veux dire… Si t’y penses… Y’a plein d’avantages à la chose…
Pour ce que j’en sais… Je ne tergiversais cependant pas longtemps, pensant aux
miens, ma chère et tendre adorée, mes minots, mes potes et tous les autres qui
font la vie plus belle… Malgré tout… Malgré tous ceux que mon ami Divin nous
avait enlevés… Y’avait encore de quoi faire… On avait bien encore un peu de
réserve pour quelques décennies… J’dirais au moins six ou sept décades… Si
possible… Je déclinais son offre et il posa une main paternelle sur ma solide
épaule droite…
-
Et
bien tu vois Ytse… Tu vois le verre à moitié plein maintenant… D’ailleurs en
parlant de verre… Le mien est totalement vide…
Le garçon, en bon professionnel, se matérialisa à
nos cotés et entrepris de vider la troisième bouteille de Bas-Armagnac de la
soirée… Millésime 75 cette fois… Une autre grande année… Mon ami
poursuivit :
-
Bref…
Maintenant tu le sais… Ce qui est dit est dit… Quand tu veux pour nous
rejoindre…
-
Ok…
Ok… J’vous ferais signe si jamais. Confirmais-je tout en ayant bien l’intention
de le faire le plus tard possible.
-
Ouaip…
Sauf si l’envie m’en prend de te rappeler avant… Hein… Parce que bon… T’es
quand même assez unique en ton genre… Et j’t’aime bien… J’dirais pas qu’t’es
l’prochain sur ma liste… Mais…
Il laissa cette phrase glaçante en suspend tout en
me donnant une bonne bourrade dans le dos.
-
Allez.
Te bile pas. Mon Ytse…
Il siffla son verre puis sauta au bas de son
tabouret.
-
Bon.
Il se fait tard. A bientôt Ytse.
Il partit en direction de la jeune femme de tout à
l’heure que son rombier avait abandonnée et qui semblait n’attendre que ça… Et
moi je le regardais s’éloigner tout en me demandant ce que je devais comprendre
de son « A bientôt » sans pouvoir retenir un frisson.